Il n’y a pas que les ménages qui sont impactés par la hausse des coûts de l’énergie. Les entreprises qui utilisent des quantités importantes d’énergie dans leur production ou leurs services sont, elles aussi, mises sous pression financière. Une pression qui peut mettre en danger l’avenir de l’entreprise et de ses travailleurs, certaines d’entre elles ayant dû ou risquant de devoir temporairement arrêter leurs activités à cause de la flambée des prix de l’énergie. Le fait que le gouvernement ait introduit, en octobre dernier et jusque fin 2022, un chômage temporaire énergie1 témoigne de la gravité de la situation.
La forte dépendance aux importations du marché belge de l’énergie constitue une des raisons principales à l’origine de ces difficultés. La Belgique est le cinquième pays européen le plus dépendant des importations de produits énergétiques. En 2020, le pays a importé 78% de l’énergie consommée sur le territoire. Cette forte dépendance aux importations, mais aussi d’autres facteurs tels que le système belge de tarification de l’énergie, rendent le marché belge de l’énergie particulièrement sensible aux fluctuations de prix sur le marché international. Des fluctuations qui ont des impacts spécifiques en fonction des secteurs. Petit tour d’horizon.
La Belgique est le cinquième pays européen le plus dépendant des importations de produits énergétiques.
Au niveau des secteurs couverts par la CSCBIE, les impacts se font ressentir principalement dans les industries intensives en énergie. C’est le cas, par exemple, dans les secteurs de la chimie et de la pétrochimie, qui ont un fort contenu énergétique des coûts de production, et dans les secteurs des matériaux de construction (briques, verre, ciment…). La briqueterie de Ploegsteert à Barry (Tournai) a mis son four à l’arrêt durant un moment, en raison des prix du gaz. En octobre 2022, les cimentiers ont lancé un cri d’alarme face à des hausses de prix intenables. L’impact des coûts croissants de l’énergie est d’autant plus fort qu’il est couplé, pour ces entreprises, à une hausse des prix des quotas d’émissions de CO2. Certaines de ces entreprises, dont la situation était plus favorable en 2022 (contrats d’énergie à prix fixe – période avant hausse salariale), constituent des stocks en prévision de potentiels arrêts temporaires de production en 2023. D’autres, comme Yara (engrais) à Tertre, ont déjà mis à l’arrêt plusieurs lignes de production grandes consommatrices de gaz.
Dans une entreprise sidérurgique, les coûts de l’énergie représentent désormais plus de 40% du coût de transformation.
L’impact est également important dans les secteurs du papier, des imprimeries et de l’industrie graphique. Un impact causé par la hausse des coûts de la pâte à papier et du papier, stimulée par l’état du marché du papier mondial post-covid, et par la hausse des coûts du transport et des prix de l’énergie.
Dans le secteur de la construction, l’impact est à la fois indirect, via la hausse des prix des matériaux, et, dans une moindre mesure, direct. Les acteurs du secteur craignent un affaiblissement de la capacité des ménages et des autres acteurs économiques à supporter les hausses de coûts de la construction et donc à investir dans les bâtiments, tant en construction neuve qu’en rénovation.
Pour la CSCBIE, une évaluation de la libéralisation du marché de l’électricité et une refonte de la formation des prix de l’électricité sur la base des coûts réels sont indispensables avec, à court terme, un blocage des prix. À moyen terme, la centrale préconise également des investissements massifs dans l’isolation des bâtiments et dans l’efficacité énergétique des process industriels, mais aussi des innovations, entre autres dans l’économie circulaire, et une relocalisation de certaines productions, y compris la production d’énergie renouvelable et moins carbonée.
Dans le secteur de la construction, les acteurs craignent un affaiblissement de la capacité des ménages à investir dans les bâtiments.
Dans les secteurs couverts par la centrale ACV-CSC METEA, sans surprise, ce sont également les entreprises intensives en énergie qui sont les plus impactées, c’est-à-dire l’aéronautique, la métallurgie et le textile.
Par exemple, chez Aperam, une entreprise sidérurgique, les coûts de l’énergie sont passés, en 6 mois, de 200 euros à 300 euros la tonne. Ils représentent désormais plus de 40% du coût de transformation, contre moins de 20% en 2016. Dans ce contexte, l’entreprise a décidé en août dernier de réduire sa production, à l’instar de Thy-Marcinelle. Elle a même été un cran plus loin en fermant totalement ses portes du 28 octobre au 2 novembre. L’entreprise Sioen (Mouscron) va, quant à elle, suspendre de moitié sa production car elle n’est plus en mesure de concurrencer les entreprises étrangères.
Cependant, tout n’a pas toujours été aussi maussade: entre 2020 et 2022, certaines entreprises du secteur ont engrangé des profits historiques grâce à l’augmentation du prix des matières premières. Même durant le premier semestre 2022, profitant de situations conjoncturelles favorables, certains résultats financiers ont dépassé les attentes.
Dans le secteur de l’industrie alimentaire, on ne recense actuellement pas de moyenne ou grande entreprise en risque de faillite. D’une part, l’industrie a réalisé des bénéfices supplémentaires (même records!) en 2021, et a constitué des réserves. D’autre part, les prix de l’énergie constituent une menace importante, mais tout aussi importante que la pénurie de main-d’œuvre ou la pénurie de plusieurs matières premières.
Au sein du secteur, certains sous-secteurs sont plus impactés que d’autres, en fonction du poids du coût de l’énergie. En général, les coûts énergétiques (avant la hausse) représentaient moins de 10% des coûts et le plus souvent moins de 5%.
Par exemple, dans le sous-secteur de la boulangerie, les coûts énergétiques représentaient 5% du coût total. Une augmentation de 255% des prix de l’énergie signifiait une augmentation des coûts totaux de 13%: les boulangeries ont donc augmenté leurs prix.
Dans le secteur des transports, plus l’entreprise est grande, plus elle est en capacité de négocier le prix de l’énergie.
Les secteurs du transport et de la logistique ont été impactés par la hausse des prix de l’énergie de manière variable. L’impact n’est pas le même dans la logistique et dans les transports et, au sein de ces secteurs, l’ampleur de l’impact dépend de la taille des entreprises. Dans le secteur des transports, plus l’entreprise est grande, plus elle est en capacité de négocier le prix de l’énergie, et donc de limiter les conséquences de la hausse des coûts. Les marges de manœuvre sont moindres dans la logistique, car il faut chauffer les ateliers et les hangars. L’impact est donc plus important, et c’est dans ce type de structures et dans les petites entreprises de transport que l’on va trouver du chômage temporaire énergie. Vu l’augmentation des coûts de production (énergie, inflation…) et la baisse de la demande due à l’augmentation générale des prix, certaines entreprises fonctionnent à vitesse réduite. Par exemple, afin de faire des économies de fonctionnement, une entreprise de logistique comme GEFCO (Ghislenghien), qui réceptionne des véhicules, les prépare dans ses garages et les envoie chez les concessionnaires, chôme désormais un jour par semaine.
En matière d’énergie, les mesures du gouvernement ont principalement été axées sur les accises. Comme les entreprises du transport les récupèrent déjà, ces mesures ne sont pas suffisantes. La seule mesure qui a actuellement un effet, c’est la facilité de mettre des travailleurs au chômage économique. Mais, bien évidemment, outre que cette mesure soit largement insuffisante, la volonté est que les gens travaillent. Sur le long terme, la survie de certaines entreprises dépendra de leur taille et de leur capacité d’absorber et de négocier les prix.
1. Le recours à ce régime souple de chômage économique est possible pour les entreprises dont les factures d’énergie représentaient au moins 3% de la valeur ajoutée en 2021, ou dont les factures d’énergie pour les trimestres écoulés ont doublé par rapport au troisième trimestre 2021.
«Tout comme la Belgique, la Wallonie n’aide pas assez les ménages mis sous pression. Or, le récent rapport de la Fondation Roi Baudouin montre que déjà en 2020 – avant la crise de l’énergie ! – la précarité énergétique des ménages atteignait près de 30%».
Pour Muriel Ruol, conseillère au service d’études de la CSC, les aides wallonnes pour les citoyens demeurent insuffisantes, et sont surtout trop ciblées sur les entreprises. Ces dernières ont reçu 505 millions d’euros pour affronter la crise énergétique, soit 175 millions d’aides directes, complétées par 300 millions de facilités de remboursement, de prêts à taux réduits et de garanties spécifiques. Dans le même temps, le Gouvernement wallon s’est contenté d’en appeler aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD) pour soulager la facture des ménages.
«Le paradoxe, c’est qu’on ne constate pas encore actuellement d’afflux de demandes des entreprises auprès des outils économiques pour bénéficier de ces aides, car la majorité des entreprises exposées avaient négocié des tarifs fixes qui les protègent provisoirement. Ce n’est pas le cas des ménages qui auraient vraiment besoin de ces sommes» constate Muriel Ruol. «Il y a un déséquilibre important entre les 505 millions d’aides qui leur sont accordées et l’appel du gouvernement wallon aux GRD – non suivi d’effet, d’ailleurs – de soulager la facture des ménages. De plus, contrairement au Fédéral, la Wallonie n’a prévu aucune prime ponctuelle à destination des ménages pour compenser ne serait-ce qu’une partie des augmentations…» conclut la conseillère.
D. Mo.
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