L'international icon

L'international

L'info n°2223/12/22

«Les problèmes des travailleurssont les mêmes partout»

Entretien avec Mick Lynch, secrétaire général du syndicat RMT.

Propos recueillis par SB et LVdA

Le gouvernement conservateur a-t-il sous-estimé la solidarité de la classe ouvrière ?

Je le crois, oui. Le gouvernement s’est mis à croire à ses propres rengaines, selon lesquelles le pays est plein de gens qui ne croient pas à la solidarité, qui nient l’existence d’une communauté, comme le prétendait Margaret Thatcher (NDLR: Premier ministre de 1979 à 1990), que c’est le règne du «chacun pour soi». Mais cet ancien message de solidarité est toujours vivant. Les gens n’acceptent plus d’être opposés les uns aux autres. Dans bon nombre de communautés, les gens savent qu’ils ne vont pas mieux s’en sortir si la situation des autres se détériore.

Pourquoi le moment est-il venu de dire que «la coupe est pleine»?

La crise du pouvoir d’achat me semble pire au Royaume-Uni qu’en Belgique. Nous voyons des gens qui travaillent à temps plein et qui doivent quand même se tourner vers les banques alimentaires. Ce phénomène n’a vraiment pris de l’ampleur qu’au cours de la dernière décennie. En outre, ces banques alimentaires fonctionnent sur la base de dons, qui émanent souvent de personnes qui appartiennent à la classe ouvrière. Aujourd’hui, certaines banques alimentaires sont confrontées à une pénurie de denrées alimentaires parce que la population ne peut plus se permettre de donner de la nourriture.

Les employeurs prétendent souvent que l’augmentation des salaires nourrit l’inflation mais, au Royaume-Uni en tout cas, cela ne peut pas être vrai. Nous avons connu des années d’économies dans les services publics et les salaires ont augmenté moins vite que l’inflation. Pourtant, de grandes entreprises comme Shell ou British Petroleum engrangent de plantureux bénéfices et distribuent de généreux dividendes à leurs actionnaires.
Les hausses de prix et les factures d’énergie élevées sont en partie la conséquence de la guerre en Ukraine, mais elles découlent aussi de l’incompétence du gouvernement. La baisse d’impôts en faveur des plus riches, que Liz Truss avait proposée, a entretemps été annulée. Cette mesure a provoqué l’envol de l’inflation et des taux d’intérêt. Conséquence: même les citoyens qui gagnent bien leur vie éprouvent des difficultés à payer leur loyer ou rembourser leurs emprunts. Le gouvernement cherche délibérément à enrichir encore davantage les super-riches. Il pense échapper ainsi à toute critique mais les temps changent. J’ignore s’il s’agit d’une révolution, mais cela peut ouvrir la voie à une société plus équitable. Le pays aspire à un changement de gouvernement. 

On remarque que les premiers métiers qui se sont mobilisés sont justement ceux qui étaient «indispensables» durant la pandémie. 

Les gens se sentent remerciés pour services rendus (sic). Ils ont continué à travailler pendant la pandémie. Ils ont fait front, soi-disant au nom de l’intérêt supérieur de la patrie, mais après les applaudissements, ils n’ont eu droit ni à de meilleurs salaires, ni à de meilleures conditions de travail. Notre gouvernement semble vouloir laisser la main au marché libre dans tous les domaines, et advienne que pourra. Qu’il s’agisse des prestataires de soins, du secteur des transports, de celui du nettoyage, etc.: ces métiers ne donnent pas droit à un salaire équitable, et l’influence que l’on peut exercer sur les marchés y est nulle.

La colère est énorme face aux droits dont les travailleurs sont privés. Les «contrats zéro heure» sont une pratique courante au Royaume-Uni: les travailleurs n’ont pas d’heures fixes, ils dépendent des heures que leur employeur leur attribue de manière flexible. Pensez à l’armateur P&O Ferries qui a licencié cette année 800 hommes d’équipage pour les remplacer par des travailleurs moins coûteux provenant de pays extérieurs à l’Union européenne.

Nous voyons des gens qui travaillent à temps plein et qui doivent quand même se tourner vers les banques alimentaires.

En 2016, le RMT et vous étiez favorables au Brexit. Depuis lors, le sort des Britanniques n'est pas enviable. Quelle part de la crise actuelle peut-on imputer à ce Brexit?

Le Brexit joue certainement un rôle dans les hausses de prix, mais ce n'est pas le seul facteur. Nous étions favorables au Brexit parce que nous rejetons par principe les libéralisations de l'Union européenne. Le Traité de Maastricht (1992), qui formulait les principes de base de l'UE, stipulait déjà que les pays devaient libéraliser leurs chemins de fer et les ouvrir à la concurrence. Bientôt, ce sera le cas en Belgique aussi. Cette privatisation des industries-clés est liée à la Constitution européenne, alors qu'au Royaume-Uni, c'est une question de politique. Un gouvernement différent peut faire des choix politiques différents.

Je crois, pourtant, que les travailleurs européens peuvent pratiquer entre eux «une solidarité différente». Nous rejetons radicalement un nationalisme qui combat les étrangers et les pays tiers. Lorsqu'après la crise financière, les travailleurs grecs ou Italiens étaient malmenés par la politique européenne d'austérité, les travailleurs d'Europe occidentale ne se sont guère manifestés pour les aider. Ils sont restés les bras ballants. Nous avons besoin d'un grand mouvement syndical, capable de mobiliser les travailleurs dans toute l'Europe et de mettre la pression sur tous les gouvernements.

Je sais que la Belgique possède des traditions syndicales différentes, mais aujourd'hui, l'essentiel est d'agir de concert. Les problèmes des travailleurs sont les mêmes partout: nos entreprises et nos gouvernements ne nous accordent pas la part juste.

© Shutterstock