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L'info n°1821/10/22

NAMUR

Agir avant l’explosion


La CSC était présente à Namur pour exiger une véritable politique de lutte contre la pauvreté.

Près de 2.000 personnes se sont rassemblées à Namur, le 17 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la pauvreté pour exiger plus de justice sociale.

David Morelli

Les Travailleurs sans emploi (TSE) de la CSC avaient donné rendez-vous au public, avant la manifestation, pour un atelier de discussions où se sont alternés témoignages et échanges sur la précarité grandissante dans notre pays.

Luc Vandormael, président de la fédération des CPAS de Wallonie, a présenté ses réflexions sur la croissance de la vulnérabilité et les risques d’exclusion sociale. Il a dressé un tableau sombre d’une société en crise structurelle depuis 1975, dans laquelle «on assiste à une dérive ininterrompue qui nous éloigne de la lutte pour l’égalité pour nous confiner dans la lutte, voire le contrôle, de la pauvreté». Face à un modèle CPAS arrivé au bout de ses limites, il a évoqué des pistes de solutions, parmi lesquelles on retrouve l’individualisation des droits ou encore l’allocation minimum au seuil de pauvreté.

Moment fort de cette matinée, des travailleurs et travailleuses, avec ou sans emploi, sont venus témoigner des conditions précaires (en matière de logement, de santé, de conditions de travail, d’insertion professionnelle, de finances…), de leurs craintes et de leurs angoisses pour les mois qui viennent. Lors des discussions avec le public, il est apparu que personne n’était à l’abri de tomber dans la précarité.

Ensemble, nous pouvons peser de tout notre poids pour le Changement.

«La pauvreté est un choix politique sur lequel nous ne pouvons pas grand-chose individuellement. Par contre, ensemble, nous pouvons peser de tout notre poids pour le changement» a rappelé Khadija Khourcha, responsable nationale des TSE. Elle a invité les participants et participantes à envoyer une lettre au ministre de l’Emploi pour augmenter les allocations et supprimer la dégressivité des allocations de chômage mais aussi pour définir la revendication prioritaire qu’ils souhaitaient voire mise en avant dans la lutte contre la pauvreté.

À l’issue de ce colloque, les participants ont rejoint les quelque 2.000 manifestants qui, munis de calicots ou équipés symboliquement de couvertures de survie, ont rejoint la place d’Armes, à Namur. Là, les couvertures ont été jetées pour exiger des droits structurels qui leur permettront de ne pas tomber dans la misère…

TÉMOIGNAGES

Mustapha, 42 ans, père de famille, travailleur.

Il devient quasi impossible de mettre un peu d’argent de côté.

J’ai choisi de vous parler de l’énergie car les prix flambent. Ils sont montés même jusqu’à 300%, aussi bien pour l’énergie domestique que pour le gasoil et l’essence.

Avant, j’habitais à Bruxelles. En 2020, nous sommes devenus propriétaires à La Louvière. Nous avions bien fait nos calculs, par rapport aux frais des transports, et c’était bénéfique pour nous car le logement est impayable à Bruxelles. Le budget énergie n’allait pas dépasser les 5 à 10% de nos revenus. Maintenant, ce budget atteint presque les 30% de nos revenus.

Pourtant, en 2021, nous nous étions préparés, ma femme et moi, à faire face à une crise en investissant dans un poêle à pellets pour avoir un chauffage d’appoint. Il nous a coûté 2.000 euros mais à l’époque, c’était intéressant car le prix du sac de pellets variait entre 4 et 5euros/semaine en hiver. Maintenant, le même sac coûte 12euros… Le chauffage à pellets revient à près de 360 euros/mois. C’est simple, il est éteint.

Ma femme travaille aussi. Nous avons deux voitures. Le budget du transport tourne autour des 800-900 euros par mois car nous devons tous les jours aller à Bruxelles. L’employeur ne rembourse que 150 euros pour le transport. Donc, tu paies pour aller travailler. Nous avons essayé les transports en commun, mais avec des enfants en bas âge, c’est tout simplement impossible. En plus nous avons des horaires différents. J’ai aussi une activité complémentaire pour avoir un petit plus mais avec les frais de carburant, ce n’est plus intéressant et je vais l’arrêter.

Heureusement, jusqu’à maintenant, nous avons encore un contrat fixe avec notre fournisseur d’énergie domestique. Mais il se termine fin janvier et nous angoissons déjà en nous demandant combien nous allons devoir payer.

Il devient quasi impossible de mettre un peu d’argent de côté. Généralement, il nous restait environ 400 euros par mois alors que nous travaillons tous les deux. Avec le contrat qui va prendre fin en janvier, il risque de ne plus rien rester. 1.200 euros pour la maison, environ 900 euros de gasoil. Ajouter à cela le chauffage de la maison, les assurances, la voiture… c’est très difficile.

Le budget énergie est au même niveau que le budget immobilier. Tout cela engendre un grand stress et une peur pour l’avenir, surtout que les réserves et économies, nous les avions déjà épuisées pendant le Covid. Maintenant on ne peut plus rien mettre de côté.

TÉMOIGNAGES

Samira, 51 ans, sans-emploi.

Le loyer prend la moitié des revenus de la famille.

Nous sommes locataires. Je paie un loyer de 1.100 euros depuis le 2018. En février-mars 2022, on a eu une augmentation de 50 euros. Pourquoi cette augmentation? Avant, on avait une chaudière commune pour tout l’immeuble, pour le chauffage central. Le propriétaire coupait le chauffage pendant 6 mois, de mars à septembre. Même s’il fait très froid, il faut aller crier pour qu’il le rallume quelques jours.

En février-mars 2022, il a commencé à se plaindre que la chaudière coûte cher. Elle est défectueuse, elle a des fuites, elle a besoin d’entretien, mais il refuse de le faire.

En septembre 2022, il a supprimé la chaudière commune et a installé des chaudières individuelles dans chaque appartement. Ce qui fait qu’on va avoir une facture en plus à payer pour le chauffage. Nous avons réclamé une réduction du loyer mais là, il faut encore attendre. Il parle de diminuer de 75 euros, mais comme il avait augmenté 50 euros, ça ne fait que 25 euros…

À notre retour de vacances, il y avait une fuite d’eau dans la salle à manger. L’eau passait par la lampe et derrière des placards. La tuyauterie est vieille et c’est dangereux. Nous payons un loyer cher, ce n’est pas pour avoir un logement avec des tas de problèmes.

Le propriétaire ne répare rien mais encaisse bien l’argent. Pour chaque problème, il cherche un clou. Heureusement, mon mari travaille. Mais le loyer prend la moitié des revenus de la famille.

Pour l’alimentation, au début du mois, ça va. Mais après 2 semaines, on se serre la ceinture, on mange des nouilles. Heureusement, il y a des chèques-repas pour compléter et mon mari essaie toujours de faire des heures supplémentaires ou de travailler le weekend pour avoir un peu plus pour l’alimentation. Heureusement aussi que mes enfants sont fantastiques, ils ne se plaignent jamais.

Nous cherchons un autre logement mais il n’y a rien pour nous: c’est soit insalubre, soit beaucoup trop cher. J’ai essayé d’avoir un logement social mais c’est impossible. Je me suis inscrite dans une agence immobilière sociale, je me réinscris chaque année, comme il faut, et normalement, après 7 ans, j’allais avoir un logement. La cinquième année, on m’a annoncé la fin de ce droit car notre revenu était trop important. Ils m’ont radiée deux ans avant l’accès au droit. C’est scandaleux car on avait beaucoup d’espoir de ce côté. Pour être aidés, on doit d’abord devenir SDF.

Je me suis aussi inscrite au Fonds du logement et là, après 2 ans de réinscription, ils m’ont radiée car j’ai rentré le dossier avec 1 jour de retard pour le renouvellement.

TÉMOIGNAGES

Bernard, sans emploi.

Je m’appelle Bernard, je suis assistant social de formation. J’ai travaillé comme éducateur et puis les aléas de la vie ont fait que j’ai perdu mon emploi et mon droit aux allocations de chômage. Qui dit perte d’emploi, dit perte d’estime et de confiance en soi. Ce qui éloigne de la vie active classique. J’ai cumulé de nombreux petits boulots, notamment en ALE. Mais comme je n’avais pas droit au chômage, j’ai dû quitter même l’ALE. Mon épouse, qui travaille dans les titres-services, a eu un accident du travail qui n’est pas reconnu et se retrouve aussi entre l’emploi et la maladie.

J’ai 3 enfants. On est ravi de les avoir soutenus et de les voir réussir, mais pour le dernier, qui est toujours aux études, même s’il est boursier, on se demande comment nous allons payer son kot. Le loyer est passé de 410 à 450 euros et c’est très difficile. L’école peut être l’ascenseur social des enfants issus de familles pauvres mais il ne suffit pas d’être intelligent, il ne suffit pas de bien travailler: il faut avoir les moyens financiers pour réussir des hautes études. En plus, même s’il y a des aides, c’est le parcours du combattant. Il faut remplir un tas de papiers, apporter des tas de justificatifs administratifs qui sont autant d’obstacles avant que les gens puissent jouir de leurs droits. Moi qui suis sans revenu, je dois chercher des preuves et des justificatifs qui disent que je n’ai pas de revenu car je suis soupçonné d’avance d’en avoir.

Faire des lois ne suffit pas si pendant la mise en œuvre, il y a des gens qui renoncent à leurs droits car c’est trop compliqué. On estime à 40% le nombre de gens qui ne profitent pas de leurs droits.

Pendant que je prestais en ALE, j’ai découvert l’action politique de la CSC et je me suis engagé. Cela m’a aidé à me former, à avoir les bonnes informations pour défendre mes droits et surtout, pour mener des actions, interpeller les politiques… tout cela m’a permis de retrouver confiance en moi. Je suis devenu un militant qui revendique des droits, qui comprend le fonctionnement de la société. Voilà pourquoi, par exemple, je lutte contre le statut cohabitant: parce que c’est aussi un statut qui crée de la pauvreté.

Ils ne nous entendent pas toujours, il faut crier plus fort et continuer car le syndicat est une grosse machine et un bon outil pour comprendre la situation et construire le changement.