Le dossier

L'info n°1821/10/22

Précarité énergétique:

froid devant!

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L’énergie est un bien de première nécessité. Pourtant, le spectre de la précarité énergétique plane sur un nombre de plus en plus important de travailleurs en ce début d’automne. Outre les mesures d’urgence, des mesures systémiques doivent être prises pour permettre d’éradiquer cette menace à l’horizon 2030.

David Morelli

D’après la plateforme européenne pour le droit à l’énergie, la Belgique est le pays d’Europe de l’Ouest qui connaît le plus haut taux de précarité énergétique: un ménage belge sur cinq était, en 2019, en situation de précarité (voir graphique P6). Un constat qui date d’avant la crise de l’énergie que nous traversons. Si le maintien de l’indexation automatique des salaires et les mesures provisoires prises par les gouvernements permettent d’amortir (un peu) le choc des factures, un nombre considérable de ménages avec des bas, mais aussi des moyens salaires, risquent de basculer – si ce n’est déjà fait – dans la précarité énergétique. Un fait témoigne de cette situation alarmante: il est de plus en plus difficile d’avoir accès aux CPAS et aux aides mises en place, tant le secteur social est surchargé de demandes.

L’énergie n’est pas un luxe

La Belgique s’est pourtant engagée à contribuer à l’objectif de développement durable n°7 (ODD7) consistant à «garantir l’accès de tous à des services énergétiques modernes et fiables à un coût abordable». Dans ce cadre, elle doit éradiquer la précarité énergétique d’ici à 2030. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour pouvoir y arriver, tant au niveau fédéral que régional.

Ces constats inquiètent la CSC. Une rupture par rapport aux politiques du passé lui semble nécessaire afin d’inverser la tendance. À cet égard, la ligne de force 32, adoptée par la CSC wallonne lors de son congrès de mai 2022, s’inscrit dans l’objectif de l’ODD7: «Une action doit également être menée en vue de garantir l’accès aux biens de base que sont l’eau et l’énergie. Celle-ci doit viser à garantir à tous les ménages le bénéfice gratuit d’une première tranche de consommation, correspondant aux besoins de base, et une tarification progressive et solidaire pour le solde.»

La précarité énergétique,
qu’est-ce que c’est?

Vivre en précarité énergétique, c’est vivre dans la menace de ne pas pouvoir accéder, dans son logement, à l’énergie nécessaire pour vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine. Confrontée à des difficultés pour payer sa facture d’énergie et à la menace de la coupure, la personne en précarité énergétique ne peut donc pas se protéger «soit d’un inconfort physique, vu la température ou l’humidité du logement, soit d’un inconfort financier, engendrant une autolimitation de la consommation d’énergie voire un endettement»

(Baudaux et al. 2020).

L’importance du juge de paix

Considérant que l’énergie est un bien de première nécessité, la CSC exige la mise en œuvre de diverses mesures comme la suppression des compteurs à budget (CAB). Cet outil, qui est interdit à Bruxelles, permet de consommer de l’électricité ou du gaz à concurrence d’un montant prépayé chargé sur une carte à puce par le consommateur. Pour la CSC, le CAB n’est pas un outil de maîtrise de la consommation mais bien un outil de maîtrise du budget. Il n’encourage donc pas directement l’utilisation rationnelle de l’énergie et ne permet pas aux ménages d’améliorer la qualité énergétique de leur logement. Par contre, à défaut de revenus suffisants, les consommateurs soumis au CAB ne peuvent satisfaire leurs besoins énergétiques les plus élémentaires et ils se retrouvent face à un terrible choix: s’autorationner en énergie ou s’endetter sur d’autres postes de dépenses.

Suite à un travail de plaidoyer de plusieurs années avec le réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie (Rwade), la CSC a obtenu en février dernier, l’adoption du décret «juge de paix». Comme c’est déjà le cas à Bruxelles depuis quelques années, il ne sera plus possible d’installer un CAB ou d’opérer une coupure sans l’autorisation du juge de paix. Cette mesure entrera en vigueur le 1er janvier 2023.

Si celle-ci constitue une belle victoire syndicale, la justice de paix ne résout néanmoins pas les problèmes de la précarité énergétique et les coupures restent possibles. Alors qu’en Wallonie, près de 7.000 coupures sont opérées par an, l’interdiction des coupures constitue une autre mesure permettant de combattre la précarité énergétique. La CSC demande donc au gouvernement wallon de garantir un véritable droit universel à l’énergie sur son territoire et d’interdire les coupures de fournitures énergétiques.

45%

des logements en Région bruxelloise et wallonie ont un PEB F ou G.

PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE -
PAR TYPE DE MÉNAGE

Source: Baromètres de la précarité énergétique et hydrique, 2019 (Coene et al. 2021).

Rénovation des logements

De nombreuses personnes touchées par la précarité énergétique vivent dans des logements de mauvaise qualité, avec de mauvaises performances énergétiques, et n’ont pas les moyens de les rénover. On estime, tant en Région bruxelloise qu’en Wallonie, que 45% des logements ont un PEB F ou G1. La rénovation énergétique des bâtiments peut avoir un impact positif sur la précarité énergétique.

• Propriétaires
Un programme ambitieux de rénovation énergétique des logements devrait générer de nombreux bénéfices sociétaux, aux niveaux économique, social et environnemental. Mais tous les propriétaires n’ont pas les moyens d’entreprendre les rénovations nécessaires aux objectifs de qualité énergétique de leur bien. Les ménages menacés par la précarité énergétique et les petits propriétaires bailleurs devraient être aidés financièrement et accompagnés lors de toutes phases liées à la rénovation de leurs biens.

En Wallonie, la CSC souhaite une rénovation complète des logements PEB F et G à l’horizon 2030 (lire L’Info n°3, 2021). Pour ce faire, des instruments financiers doivent encourager les propriétaires à investir dans leur bâtiment (travaux d’isolation, appareil peu énergivore, installation de panneaux photovoltaïques ou de pompe à chaleur…) en minimisant les risques de surendettement et d’augmentation des prix. Cela passe également, entre autres, par le développement «des dispositifs publics pour promouvoir la rénovation énergétique des biens mis en location par le biais, par exemple, des agences immobilières sociales.» Les aides et les financements publics devront être prioritairement affectés aux personnes qui en ont le plus besoin et les montants modulés selon l’efficacité énergétique des investissements. Il s’agira aussi d’éviter que les propriétaires bailleurs qui ont bénéficié d’aides publiques puissent librement augmenter leur loyer et gagner sur les deux tableaux.

• Locataires
Pour la CSC, des mécanismes de soutien doivent être prévus ou améliorés pour le nombreux locataires en situation de précarité du fait de revenus insuffisants et/ou de logements mal isolés. Au niveau régional, cela passe par l’imposition d’obligations plus contraignantes pour les bailleurs quant à la performance énergétique des logements mis en location et, plus largement, à «mieux contrôler et réguler le marché locatif privé afin de garantir des logements abordables et de qualité (…)»2. Dans les résolutions d’actualité de son récent congrès, la CSC bruxelloise exprime, dans les points consacrés à la crise énergétique et au logement, sa demande d’une indexation limitée à 2% qui serait réservée aux détenteurs de certificats PEB de bonne clase énergétique. Pour les bailleurs qui ne sont pas en mesure de présenter un certificat PEB ou qui présentent un certificat E, F ou G, elle demande le gel complet des loyers, jusqu’à une amélioration significative de la classe énergétique du bien. À cet égard, les gouvernements régionaux ont annoncé, lors de la présentation de leurs budgets 2023, la prise en compte, à Bruxelles, du niveau de PEB dans le calcul de l’indexation des loyers et, du côté wallon, la non-indexation des loyers des passoires énergétiques.

La crise de l’énergie illustre l’échec de la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité.

AMÉLIORATION DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE À L’HORIZON 2030

Diminution de consommation d’énergie finale prévue dans les plans des régions et du fédéral: 
• Bruxelles: -28.5% (par rapport à 2005).
• Wallonie: -29% (par rapport à 2005).
• Belgique: -40% (par rapport à 2007).

Et la facture?

Comme le mentionne la CSC bruxelloise dans une carte blanche qu’elle a co-signée, la crise de l’énergie «illustre l’échec de la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité (…) Face à un marché totalement défaillant (…) l’État doit reprendre en main non seulement la régulation des prix du gaz et de l’électricité pour les ménages, mais encore la fourniture et la production de l’électricité, ainsi que la programmation des achats de gaz sur les marchés mondiaux.» Même son de cloche pour la CSC wallonne pour qui l’énergie doit être «considérée comme un bien de première nécessité qui doit par conséquent être moins taxé et dont il faut déterminer un minimum vital dont chacun doit pouvoir disposer. Ceci passant éventuellement par une renationalisation et/ou le retour dans la sphère non marchande de ces secteurs, en vue de les sortir complètement des logiques de marché»3.

Aller dans ce sens permettra à la Belgique et à ses régions de marcher d’un pas plus assuré sur le chemin de l’horizon 2030, de lutter contre la précarité énergétique et, plus largement, de favoriser la réalisation d’une transition énergétique juste.

1. La Performance énergétique des bâtiments (PEB) est définie sous la forme d’une échelle qui permet de juger si une maison, par exemple, sera économe en énergie ou non. Cette échelle va de A++ (très économe en énergie) à G (très énergivore). 
2 et 3. Ligne de force 32 de la CSC Wallonne.

TÉMOIGNAGE


Sara, 35 ans, travailleuse dans les titres-services.

«Nos salaires sont bloqués et, avec l’augmentation des coûts de l’énergie, ce n’est plus tenables. J’ai deux enfants et je n’arrive pas à boucler les fins de mois avec mon salaire. J’ai augmenté mes heures de travail pour que mes enfants puissent continuer leurs activités, l’école des devoirs, etc. mais c’est vraiment compliqué. 

L’augmentation des factures d’énergie rend les choses encore plus difficiles. Hier, la maison était très froide et j’ai eu peur d’allumer le chauffage. Mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas couper les chauffages pour mes enfants… Je ne vois pas comment je peux améliorer cette situation.»

PROPORTION DE LA POPULATION EN SITUATION DE PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE



Source: Baromètres de la précarité énergétique et hydrique, 2019 (Coene et al. 2021).