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L'info n°1806/10/2023

«L’Homme le plus pauvre de Wallonie»

est toujours une femme

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La succession de crises rend la pauvreté de plus en plus présente dans notre société. Lorsque nous l’envisageons, nous lui donnons parfois les traits extrêmes d’un SDF, pour nous rassurer. Pourtant, selon une étude, la pauvreté ressemble plutôt à la voisine d’en face.

David Morelli

En 2010, Ricardo Cherenti, chercheur chez Éconosphères, publiait une étude statistique sur la pauvreté en Wallonie. Son objectif: déterminer un profil de la personne la plus pauvre dans cette région. L’étude, qui fit grand bruit médiatique, concluait que la «pauvreté a bel et bien un sexe» et que «l’Homme le plus pauvre de Wallonie est une femme»1. Dix ans plus tard, dans une seconde étude, il a tenté de construire, au départ de statistiques officielles, une image «moyenne» de «l’homme pauvre» et de confronter cette image à la réalité.


Le SDF: un épouvantail

Pour le chercheur, «l’image que l’on se fabrique de la pauvreté ne correspond pas du tout à la réalité prise dans son ensemble». Cette image, extrême, c’est celle du SDF, «l’image la plus éloignée possible de soi», qui permet, tel un épouvantail, de mettre à distance la pauvreté. Pourtant, cette étude montre par les moyennes statistiques que «le pauvre n’est finalement pas en majorité le SDF, mais plutôt notre voisine directe, une personne parmi d’autres dont on ne soupçonne pas souvent qu’elle puisse être pauvre».

Les différents plans de lutte contre la pauvreté n’atteignent pas son aspect sexué.

Des mots sans effets

Si le combat pour l’égalité et contre la pauvreté sont omniprésents dans le discours et dans les plans de lutte contre la pauvreté dans les faits, cette réalité est, pour le chercheur, peu effective: la situation de pauvreté concrète ne diminue pas. Au contraire, le nombre de personnes en situation de pauvreté ne cesse d’augmenter: 15,3% en 2011, 16,4% en 2018 [et 19,3% en 2021, NDLR]2. Mettre le curseur sur l’extrême pauvreté – dont les chiffres sont heureusement en baisse – dans les discours et les actions empêche de voir que la «simple» pauvreté est, elle, bien en hausse.

Heureusement, «notre système de sécurité sociale est un des plus pertinents qui soit. C’est lui qui crée un filet de sécurité qui permet de maintenir bon nombre de citoyens au-dessus du seuil de pauvreté officiel.»

Une machine à fabriquer de la pauvreté

Les données de son étude mettent en évidence le fait que «notre société est structurée pour fabriquer de la pauvreté et pour fabriquer davantage de femmes pauvres. La différence entre femmes et hommes est sensible: les femmes sont 2,2% de plus à être en situation de risque de pauvreté.» Malgré l’omniprésence des discours sur l’égalité, l’écart dans l’évolution du risque de pauvreté par sexe s’est renforcé entre 2010 et 2018. Et les femmes restent les plus exposées à la pauvreté. Ce qui inquiète le chercheur, c’est que, même si l’écart se réduit (3% en 2003 contre 2,2% en 2018) il en a toujours été ainsi.

Wallonie: la pauvreté s’installe

En Wallonie, la pauvreté féminine augmente de manière alarmante. «Cette très forte hausse montre (…) que les différents plans de lutte contre la pauvreté n’atténuent pas son aspect sexué»3. Pour infléchir la tendance, il faudrait commencer par mettre en place une «réelle» politique de lutte contre la pauvreté, c’est-à-dire «ambitieuse, et avec un budget conséquent».

L’auteur pose un constat particulièrement inquiétant pour l’ensemble de la population wallonne: la pauvreté s’installe, physiquement et psychiquement, comme un élément «fort» d’un contexte de vie. «Ce contexte va, sans aucun doute, influencer notre perception de la vie en société et de l’avenir de celle-ci. Dans ce climat, il semble difficile de pouvoir envisager l’avenir sereinement.» Et le chercheur d’insister sur un point: «contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas l’économie qui va éliminer la pauvreté mais c’est par contre très certainement la diminution de la pauvreté qui va permettre un contexte favorable pour une «meilleure» économie.»

Profil d’Aurélie

La conclusion de l’étude est finalement très simple: la pauvreté touche beaucoup plus les femmes. La richesse est plutôt une affaire d’hommes. À travers un travail statistique, il apparaît que, dix ans après la première étude, l’Homme le plus pauvre de Wallonie est toujours une femme, présentée sous le profil «d’Aurélie» (à lire en page suivante). Cela crée une discrimination par genre, malgré «le leitmotiv omniprésent de l’égalité des sexes dans la société». La réduction drastique de la pauvreté et l’égalité absolue entre les femmes et les hommes constituent, comme le mentionne l’étude, les deux objectifs qui «doivent permettre de faire surgir un nouvel imaginaire commun basé sur une «société décente» où tout le monde pourrait y gagner».


1. Texte issu de la présentation de l’étude par son auteur à l’occasion d’une journée d’étude des Femmes CSC sur la précarité du travail sous l’angle du genre, et du texte complet de l’étude, accessible à l’adresse www.econospheres.be/IMG/pdf/homme_le_plus_pauvre_wallonie.pdf.
2. Source: www.statbel.fgov.be
3. Sur ce sujet, notons que, pour les Femmes CSC, il est nécessaire d’appliquer systématiquement la méthode du Gendermainstreaming à ces plans pour qu’ils réduisent les inégalités auxquelles les femmes sont confrontées.