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L'info n°1806/10/2023

«Cette dernière année ne doit pas être perdue»

Un mois après la rentrée sociale, Marc Becker, secrétaire national de la CSC en charge des affaires wallonnes, aborde les enjeux de la Wallonie à l’aune des priorités de la CSC.

Propos recueillis par David Morelli


Les élections législatives se rapprochent. Des projets majeurs risquent-ils d’être reportés pour cause de campagne électorale?

Cette législature a été bouleversée par des crises – pandémie, inondations, crise de l’énergie, guerre en Ukraine… – qui ont retardé ou empêché le gouvernement de réaliser ce qu’il avait prévu. Dans ce contexte, il doit, malgré la campagne électorale, fonctionner à plein régime. Il ne faut pas que cette dernière année soit une année perdue! C’est d’autant plus important pour nous que, au sortir de la pandémie, le congrès de la CSC wallonne a défini de manière claire nos attentes en matière de «bien vivre», comme la transition juste et la défense des services et des biens collectifs et universels. C’est ce double contexte qui fonde le choix de nos priorités pour la prochaine législature.


Quelles sont ces priorités?

Tout d’abord, la poursuite du plan de relance (PRW), coconstruit avec les interlocuteurs sociaux. Jamais la Wallonie n’a eu à disposition des montants aussi importants en une fois – quelque 7 milliards d’euros – pour relancer la mécanique. Il faut maintenir la dynamique du plan et, comme le Plan Marshall, le poursuivre au-delà de la législature. Une des priorités du PRW, fondamentale pour nous, c’est la rénovation énergétique des bâtiments, publics et privé. Cette mesure est bonne pour l’emploi et les entreprises, pour la facture énergétique des ménages et pour l’environnement. C’est du triple win. On constate cependant que la phase de réalisation a pris beaucoup de retard, et que la complexité administrative et le mécanisme de financement – le particulier doit avancer l’argent pour effectuer les travaux, puis seulement recevoir les primes – conduit à ce que ces aides à la rénovation énergétique soient principalement utilisées par les classes moyennes supérieures, qui ont la trésorerie. On passe à côté de l’objectif. Il existe pourtant des possibilités de préfinancement public pour les populations fragilisées1, mais qui les connaît? La Région devrait avoir une démarche proactive concernant ces outils et aides auprès des publics moins favorisés.

L’alternance emploi-formation pourrait être une réponse simple à la problématique
des métiers sous tension.

La Wallonie anticipe-t-elle suffisamment les conséquences de la transition?

La Wallonie n’a pas de vrai plan de transition juste. Elle doit construire avec les travailleuses et les travailleurs une vision prospective fine de l’économie qu’elle souhaite pour demain. Elle doit anticiper les créations mais aussi les pertes d’emploi et les reconversions: on ne reclasse, reforme ou réoriente pas les gens du jour au lendemain. Pour la CSC, l’alternance emploi-formation (AEF) constitue une réponse à la fois à la question des emplois de demain, mais aussi aux difficultés actuelles de recrutement. Aujourd’hui, le mécanisme AEF est illisible, avec des rémunérations et des primes qui varient en fonction des opérateurs et des secteurs. Difficile, dans ces conditions, d’attirer les jeunes dans des filières qualifiantes et porteuses d’emplois. Pourtant, l’alternance est porteuse d’emplois. Nous proposons d’ailleurs une piste pour améliorer la lisibilité du système: ne garder pour les jeunes en obligation scolaire que le système des CEFA [la filière qualifiante à horaire décalé dans l’enseignement obligatoire, NDLR]. Au-delà de 18 ans, le mécanisme pourra se diversifier aux autres opérateurs.

Est-ce que l’alternance emploi-formation et, plus largement, la formation, est un chantier majeur pour la Wallonie?

L’AEF pourrait être une réponse simple à la problématique des métiers sous tension ou en difficulté de recrutement. Pourtant, seuls 16% des employeurs, majoritairement des petites entreprises, utilisent ce mécanisme en Belgique. Ils sont en moyenne 31% en Europe… Les employeurs wallons pointent les déficits de compétences et de qualifications. Mais ces difficultés viennent également du fait qu’ils veulent avoir une main-d’œuvre clé sur porte et estiment qu’ils n’ont pas de responsabilité en matière de formation. Nous avons actuellement des discussions avec le cabinet de la ministre Morreale et les employeurs wallons sur la réforme des incitants financiers à la formation. Le débat est difficile, car les employeurs estiment que tous les moyens publics devraient aller à la formation des travailleurs en entreprise. La formation des adultes, c’est pourtant beaucoup plus large que la formation en entreprise.

Comment appréhendez-vous la situation financière délicate de la Région?

Comme je l’ai évoqué, le gouvernement a eu un début de législature très compliqué, marqué par des crises. Il a injecté énormément de moyens publics pour permettre aux travailleurs et aux entreprises de les surmonter moins difficilement. Mais il se retrouve avec un solde budgétaire à financer de plus de 3 milliards d’euros, pour des recettes estimées à 21 milliards. Ce montant énorme devra bien sûr être apuré, mais la CSC wallonne salue le pari d’avoir misé sur un plan de relance plutôt que sur un plan d’assainissement. Nous espérons que le PRW engendrera des effets retour qui permettront à la région de retrouver une meilleure santé financière. Nous restons convaincus qu’une série d’aides aux entreprises qui sont autant d’effets d’aubaine pourraient être revues. Pour retrouver des marges financières, le gouvernement doit être plus sélectif dans ses aides.

Sur le plan social, comment réagissez-vous à l’annonce du retour de l’indexation des loyers des «passoires énergétiques»?

Je ne comprends pas quel élément objectif permet au gouvernement de revenir sur cette sa décision de bloquer l’indexation des bâtiments ayant une mauvaise performance énergétique. L’enjeu de la transition énergétique et des «passoires» est toujours bien là. Cette non-indexation est essentielle pour des publics hyper précarisés. Nous saluons, en revanche, la priorité que donne le gouvernement à la mise en place d’une première ligne de soin intégrée, organisée du local au régional et réunissant plusieurs services, à l’image des maisons médicales à Bruxelles.

Malheureusement, la pluridisciplinarité dans l’accueil des personnes qui recourent à des soins ne s’accompagne actuellement d’aucun moyen supplémentaire pour développer l’offre de soin ou pour la rendre plus accessible à tous les bénéficiaires. Cette réforme, qui était demandée par les travailleurs du secteur, risque fort de nourrir de faux espoirs… 

© Aude Vanlaethem