Dix ans après le Rana Plaza, les conditions de travail restent mauvaises
Au Bangladesh, les conditions de travail dans les ateliers de production restent à améliorer.
24 avril 2013. À Dakha, la capitale du Bangladesh, le Rana Plaza, une usine de vêtements où produisent notamment Primark et Benetton, s’effondre. La veille, les ouvriers avaient refusé d’y entrer. Malgré des fissures bien visibles, ils y ont été contraints, menacés de licenciement. Bilan: 1.138 morts, 2.500 blessés.
Lies Van der Auwera (adapt. D.Mo.)
Trois semaines après la catastrophe, sous la pression des syndicats, des ONG et de certaines marques de vêtements, un accord sur la sécurité en matière d’incendie et sur la sécurité des bâtiments était signé au Bangladesh. Cet accord novateur prévoit des inspections indépendantes, et un soutien financier des marques pour la sécurité des usines. Mais il présente une faiblesse: les marques ont le choix d’y adhérer ou pas. Si, depuis lors, la sécurité s’est améliorée, les vêtements sont toujours fabriqués dans de mauvaises conditions: salaires bien trop bas, pas de retraite ou d’autres avantages sociaux…
L’habillement et le textile représentent 83% des exportations du Bangladesh. Les salaires minimum dans le secteur ont été fixés pour la dernière fois en 2018 et, depuis lors, ils ont été largement grignotés par l’inflation. Un salaire de subsistance devrait être d’au moins 193 euros, soit plus du double du salaire minimum actuel. «Il s’agit de se battre pour les droits fondamentaux, déclare Kalpona Akter, de l’organisation de travailleurs bengalis BCWS1. Dans les années 1990, les enfants représentaient 40% de l’effectif de l’atelier. Il n’y avait pas de week-ends, de congés ou même de pauses». Depuis 2006, il existe une loi sur le travail, mais le contrôle est laxiste. Pour les sous-traitants et les ateliers clandestins, cette loi ne signifie rien.
Le changement est possible, mais il faut que toutes les entreprises jouent le jeu.
Jasmin, 24 ans, repasse depuis ses 16 ans dans une «usine modèle» de vêtements, entre autres pour C&A et Camel Active. Elle gagne 89 euros par mois pour six journées de huit heures. Ses heures supplémentaires lui permettent d’atteindre une moyenne de 111 euros par mois. «Ici, les conditions de travail sont bonnes, à l’aune des normes bengalies, déclare Jasmin. Les salaires minimum sont respectés, les heures supplémentaires sont payées, les travailleuses peuvent compter sur un congé de maternité rémunéré… Il y a maintenant des toilettes séparées pour les femmes, ce qui n’était pas le cas auparavant. Les installations d’eau potable sont nombreuses. Dans de nombreuses usines, on n’a pas le droit de boire beaucoup parce qu’on doit aller aux toilettes trop souvent. Pendant la pandémie de coronavirus, l’entreprise a été obligée de fermer pendant un mois. Nous avons quand même reçu une partie de nos salaires, ce qui n’était pas le cas partout». Jasmin est représentante des travailleurs dans son entreprise, qui est l’une des rares où une représentation est autorisée.
Dix ans après la catastrophe du Rana Plaza, une journaliste du magazine néerlandophone de la CSC, Visie, est partie en reportage au Bangladesh.
À Dakha, la documentariste Lies Van der Auwera a suivi les personnes touchées par la catastrophe: ouvriers de l’habillement, syndicalistes et travailleurs de la santé, avec une grande question: «Les conditions de travail sont-elles aussi dramatiques qu’à l’époque?».
Dix ans après la catastrophe du Rana Plaza, il est grand temps de passer à l’étape suivante. C’est ce qu’explique Sara Ceustermans, de la Clean Clothes Campaign et de WSM2: «En Belgique, en Europe et au sein des Nations unies, nous faisons pression en faveur d’une législation qui oblige les entreprises à s’occuper de leur chaîne d’approvisionnement et de ce qui se passe chez les sous-traitants, et qui les contraigne à réparer les dommages causés aux personnes ou à l’environnement. Cependant, les milieux d’affaires font pression pour affaiblir ces règles autant que possible. C’est aux responsables politiques qu’il incombe de veiller à l’application de la législation. L’accord sur la sécurité au Bangladesh montre que le changement est possible, mais il faut que toutes les entreprises jouent le jeu. Sinon, il y aura une distorsion de concurrence.»
Laura Eliaerts, du service International de la CSC, abonde en ce sens: «Selon une étude de la Commission européenne, seules 16% des entreprises prennent aujourd’hui en charge l’ensemble de la chaîne de valeur. Une loi sur le devoir de vigilance garantirait une plus grande transparence. Si cette loi est adoptée, il sera possible de savoir en un clic qui produit, qui livre, et où. Il ne sera plus possible de se cacher».
Interpellez les eurodéputés pour qu’ils jouent pour le camp des droits humains lors du vote décisif au Parlement européen fin mai!
1. Bangladesh Center for Workers Solidarity.
2. We Social Movement (WSM) est l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien (Moc) et de ses organisations constitutives.
© Bangladesh Revisited – Lies Van der Auwera