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L'info n°510/03/23

Statut de cohabitant:

100% perdant!

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Le statut de cohabitant constitue une aberration sociale et démocratique. Une campagne du Mouvement ouvrier chrétien (Moc), dont fait partie la CSC, vise à la suppression de ce statut injuste qui maintient certains allocataires sociaux dans la précarité.

David Morelli

Mis en place en 1974 à titre temporaire suite à la crise économique, le statut de cohabitant ambitionnait de réduire les dépenses de sécurité sociale. L’idée était de s’attaquer au «revenu rouge à lèvres», c’est-à-dire au revenu d’appoint pour les femmes en complément des revenus du «chef de ménage» – au masculin dans le texte.

Ce statut, initialement mis en place à l’attention des personnes dépendantes du CPAS, se base sur l’idée que deux adultes vivant sous le même toit ont moins de frais que deux personnes qui vivent seules.

La mesure, au lieu de disparaître, a ensuite été introduite dans le calcul des indemnités de chômage en 1980, puis des indemnités de maladie-invalidité en 1991. Aujourd’hui, elle est toujours en vigueur, en dépit des nombreux problèmes, injustices et discriminations que ce statut engendre. Détaillons-les.

Obstacle aux solidarités

Dans le cadre du statut de cohabitant, les allocations sociales sont calculées en fonction de l’existence ou de l’absence d’un conjoint. Cette base de travail, familiariste et sexiste, n’est plus du tout en phase avec l’évolution de la société et les modes de vie actuels.

«Les gens veulent vivre autrement, par choix ou par nécessité. Pénaliser les formes de solidarité intrafamiliale ou les étudiants qui vivent ensemble, cela correspond à une vision de la société qui n’a plus lieu d’être» explique Ariane Estenne, présidente du Moc, à l’occasion du lancement de la campagne visant à supprimer le statut cohabitant1, à laquelle participent les Femmes CSC.

Les diverses formes de solidarité informelles, qu’elles soient familiales, amicales ou citoyennes, sont plus que jamais nécessaires, à l’heure où la crise énergétique rend encore plus aigus les problèmes de mal-logement, de précarité énergétique et financière, ou encore d’isolement social. De plus en plus de personnes de tous âges, qui vivent parfois en dessous du seuil de pauvreté, tentent de se regrouper pour accéder à un logement de qualité à un prix abordable et diminuer les frais, par exemple les coûts de l’énergie.

Ces nouveaux modes de vie et d’habitat (colocations avec ou sans liens de parenté et/ou affectifs, habitats groupés, logements intergénérationnels…) sont mis à mal par le statut de cohabitant. Ceux qui y recourent se trouvent alors placés dans une angoissante insécurité juridique: en cas de contrôle de l’Onem, ils devront démontrer qu’il n’y a pas de partage des frais, avec le risque de perdre une partie de leurs allocations sociales (chômage, pension, CPAS…). Risquer de perdre son statut de personne isolée ou de chef de ménage constitue un frein à la solidarité. Par exemple, une personne au chômage qui souhaiterait accueillir un parent malade ou en invalidité serait lésée par cette mesure. Pour le Moc, supprimer le statut de cohabitant permettrait par conséquent aux personnes qui souhaitent vivre de manière solidaire de ne pas être sanctionnées financièrement. Dès lors, cela constituerait un levier pour lutter contre les mauvaises conditions de logement, la perte d’autonomie, de lien social…

Cotisation pleine, droit partiel

Plus largement, ce statut de cohabitant constitue une injustice flagrante en matière de droits. «Une personne qui cotise pleinement à travers son travail doit avoir un droit plein aux allocations, explique Gaëlle Demez, responsable des Femmes CSC. Les différentes politiques d’austérité, parmi lesquelles le statut de cohabitant, bafouent ce droit. Non seulement ce statut met les gens dans la précarité mais, en plus, il entrave la solidarité et mine la confiance dans la sécurité sociale. Depuis 40 ans, le maintien de ce statut nous enferme dans un système qui construit lui-même sa pauvreté et la renforce.»

Vie moins privée

Enfin, le contrôle social extrêmement intrusif dévoie les institutions et les assistants sociaux de leur mission fondamentale d’aide et d’accompagnement des allocataires sociaux. Chez des personnes parfois déjà très précarisées, cela peut avoir des effets dévastateurs, tant sur le plan financier que familial. Cette situation crée chez les allocataires sociaux une méfiance, voire une défiance, envers le système de sécurité sociale. Cela sape la démocratie.

Connaître ses droits

Pour sortir de cette profonde ornière, il s’agit tout d’abord de sensibiliser la population à ses droits en matière d’assurance chômage. «De nombreuses personnes ne connaissent pas le système et ignorent que le fait d’être en couple, lorsque l’on tombe au chômage, ne donne pas la juste allocation. Ils n’en tiennent pas compte au moment, par exemple, de prendre des décisions importantes comme changer de travail, se reconvertir…» regrette Gaëlle Demez. Derrière cette campagne du Moc, on retrouve donc l’objectif d’informer sur l’ampleur des injustices provoquées par le statut de cohabitant, mais aussi la volonté de faire pression sur les autorités politiques pour qu’elles y mettent fin.

Brèche et résistances

Paradoxalement, c’est le gouvernement fédéral qui a lui-même prouvé ces derniers mois que ce statut constituait un obstacle à la solidarité. Lors de la crise sanitaire, il a été décidé que la distinction de statut entre isolé et cohabitant ne serait pas appliquée aux personnes mises au chômage temporairement pour cause de Covid. Il n’y a pas eu non plus de changement de statut pour les personnes qui ont hébergé ou ont été hébergées suite aux inondations de l’été 2021, ou à l’arrivée de réfugiés ukrainiens. La solidarité n’aurait-elle lieu d’être que lorsque les failles de l’État ne lui permettent pas de fournir un accueil digne à des personnes dans le besoin? Ces entorses constituent en tout cas une profonde brèche qu’il s’agit d’exploiter en perspective des élections de 2024. «La position évolue. La plupart des partis francophones, avec l’une ou l’autre nuance, se montrent favorables à étudier la perspective de sortir de ce statut de cohabitant. En Flandre, c’est surtout la N-VA qui s’y montre fermement opposée», constate Ariane Estenne.

Face aux revendications de suppression du statut, la ritournelle du piège à l’emploi est fréquemment reprise. «Pour lutter contre les pièges à l’emploi, il faut augmenter les salaires et proposer des conditions de travail qui n’impliquent pas qu’une personne qui décroche un emploi doive payer pour pouvoir aller travailler. Pour le moment, le vrai piège à l’emploi, ce sont les frais de déplacement, le choix entre remplir son assiette ou son réservoir d’essence. Ce n’est pas en affamant les personnes au chômage qu’elles vont se lancer dans un processus de formation. S’attaquer à l’allocation en disant qu’ils vont par conséquent mieux chercher, ça ne fonctionne pas», conclut la présidente du Moc.

Un coût bénéficiaire

Reste enfin la question du coût de la fin de cette mesure. Elle entraînerait certes des dépenses liées à l’augmentation des allocations, mais elle permettrait également de réduire, voire d’annuler, certaines dépenses.Cela allégerait le coût des contrôles, ou les dépenses liées à la pauvreté et à la santé, fortement impactée par la précarité créée par le statut.

Des effets de retour non négligeables en matière de consommation, d’emploi et de recettes publiques viendraient également diminuer la facture. Enfin, plus fondamentalement, il faut garder à l’esprit que le coût de la pauvreté est beaucoup plus important que celui du maintien d’un droit complet…

1. Plus d’infos sur la campagne Ciep-Moc-Pac-RWLP «Statut de cohabitant.e – 100% perdant.e» www.lacsc.co/cohab_MOC et www.moc.be

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