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L'info n°77/04/23

Les pierres angulaires
de la transition industrielle wallonne


L’urgence climatique imposera inéluctablement la reconversion profonde des secteurs les plus polluants.

L’Info a sélectionné de larges extraits de la carte blanche1 corédigée par Marc Becker, secrétaire national CSC, Jean-François Tamellini, secrétaire général FGTB wallonne, et Sylvie Meekers, directrice générale Canopea2.

La transition bas carbone de l’économie wallonne doit pouvoir offrir aux secteurs industriels l’opportunité de développer de nouveaux débouchés et de créer de l’emploi. Pour cela, il est indispensable d’investir non seulement dans la technologie, mais aussi et surtout dans la formation des travailleuses et travailleurs, ainsi que dans l’adaptation et l’amélioration de leurs conditions de travail. Or, le bilan de l’industrie wallonne en matière de transition énergétique est loin d’être brillant.

La Wallonie a en effet réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 38,5% depuis 1990, soit beaucoup plus que la moyenne nationale de 26,9%. Mais cette réduction a davantage été causée par des fermetures d’entreprises et la perte de pans industriels historiques que dans le cadre d’une transition socialement juste négociée avec l’ensemble des acteurs.

Dans ce contexte, les Accords de branche de deuxième génération 2013-2020, qui ont été prolongés jusqu’en 2023, ont été particulièrement décevants. Ces aides publiques, octroyées aux secteurs industriels pour réduire leurs émissions et améliorer leur efficacité énergétique, ont en effet été environ trois fois supérieures aux investissements réalisés. Qui plus est, l’existence de ce dispositif ne semble pas avoir influencé significativement les décisions d’investissement des acteurs concernés. Elles constituent donc des effets d’aubaine.

La crainte est que ces aides ne constituent un nouveau chèque en blanc offert
au secteur industriel et aux entreprises.

Un modèle à revoir de toute urgence

Aujourd’hui, une réforme des Accords de branche est sur la table du gouvernement wallon. L’objectif affiché est d’en rehausser l’ambition.

Le nouvel outil sera ouvert à l’ensemble des entreprises, indépendamment de leur taille et de leur forme juridique (PME, hôpitaux…). Les participants pourront se regrouper au niveau d’une fédération industrielle, d’un cluster géographique ou d’une chaîne de valeur, dans le cadre de «communautés carbone». Ce nouveau modèle doit leur permettre d’être en capacité d’agir non plus seulement sur l’amélioration des processus de production, mais aussi de développer de nouveaux modèles d’affaires (économie circulaire, synergies industrielles…), d’investir dans des technologies de rupture, et d’élargir le périmètre des impacts pris en considération (mobilité du personnel, logistique…).

Cette évolution serait à saluer si elle ne risquait pas de constituer un nouveau chèque en blanc offert au secteur industriel et aux entreprises.

En effet, rien n’est encore dit sur les conditions d’objectifs à atteindre pour les réductions du prix de l’énergie, qui seraient maintenues dans cette nouvelle mouture. Ces soutiens s’ajouteraient aux nouvelles aides, qui doivent être définies mais qui prendront la forme de subsides «pour le passage à l’action», et qui se baseront sur des plans d’investissements concrets.

Par ailleurs, la transition socialement juste se veut au centre du «Plan Air Climat Énergie 2030», tout juste présenté aux interlocuteurs sociaux. Pourtant, l’emploi et la concertation sociale sont les grands absents du nouveau système… financé par de l’argent public.

Enfin, l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’industrie wallonne et la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ne sont envisagées que par unité de valeur ajoutée, afin de préserver l’activité et d’éviter les délocalisations. Mais pour atteindre les objectifs de 2030 et 2050, il faudra une réflexion plus globale. L’urgence climatique imposera inéluctablement la reconversion profonde des secteurs les plus polluants. Dans ces conditions, comment garantir le maintien et le développement d’emplois durables et de qualité à moyen et long terme si ces transformations ne sont pas anticipées, dans le cadre d’une transition juste organisée au niveau régional, sectoriel et de l’entreprise?

Rappels

Quelques rappels s’imposent:

  • Une révision du modèle de gouvernance des Accords de branche est incontournable: l’ensemble des acteurs doivent être impliqués, y compris les travailleuses et travailleurs. Les organisations syndicales doivent donc être intégrées dans les organes de gestion des futures communautés carbone. L’information des représentants syndicaux sur les projets mis en œuvre doit être rendue obligatoire au niveau de la concertation sociale.
  • Il est inacceptable que l’argent public alimente des effets d’aubaine et finance des investissements qui auraient été réalisés de toute façon. Les Accords de branche doivent évoluer vers un véritable levier pour pousser les entreprises adhérentes vers la décarbonation de leurs activités et produits sur l’ensemble des chaînes de valeur, et pousser les sauts technologiques et le développement de l’économie circulaire. Les aides devraient cibler en priorité les entreprises innovantes qui investissent dans les technologies de rupture, les entreprises électro-intensives, et les entreprises soumises à une concurrence internationale.
  • Les entreprises en Accords de branche doivent s’engager globalement à maintenir le niveau de l’emploi existant tant en termes de quantité que de qualité, sur les différents sites de production.
  • Parallèlement aux dispositifs des Accords de branche, la vision industrielle de la Wallonie doit reposer sur le développement de feuilles de route de décarbonation par secteur fondée sur la transition juste.

Il est fondamental, en termes de scénarios prospectifs, d’envisager sérieusement et en amont la reconversion de certains secteurs dont les activités seraient incompatibles avec les objectifs climatiques. Il faut donc anticiper les retombées sur l’emploi et les mesures à négocier et mettre en place pour la formation et reconversion des travailleurs impactés. Ceci ne pourra pas se faire sans implication des organisations syndicales.

Les politiques régionales et la révision des accords de branche doivent donc viser une réindustrialisation compatible avec les objectifs climatiques, créatrice d’emplois durables et de qualité, et participant à la réduction des risques géopolitiques en termes de dépendances et de disponibilités de matières premières et de composants.

1. Parue dans Le Soir du 6 mars 2023.
2. Fédération d’associations environnementales, anciennement «Inter-Environnement Wallonie».

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