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L'info n°77/04/23

Documentaire
Révolution de balais

En découvrant l’existence du Balai Libéré, une entreprise de nettoyage autogérée dans les années 70, les nettoyeurs et nettoyeuses actuelles de l’UCLouvain se questionnent sur leurs conditions de travail, et sur la faisabilité de se mettre en autogestion aujourd’hui.

David Morelli

Le documentaire Le Balai Libéré revient sur l’histoire d’une révolution méconnue qui s’est déroulée au milieu des années 70, dans un secteur rarement mis sous le feu des projecteurs: le nettoyage.

Témoin d’une expérience autogestionnaire qui aura perduré 15 ans et qui aura permis aux travailleurs de créer les conditions de travail propices à leur émancipation, cette histoire méritait d’être racontée. Si le documentaire de Coline Grando revient, à travers des images d’archives, sur les événements qui ont abouti à la création du «Balai Libéré», son intérêt majeur est son approche résolument tournée vers le présent. «Le film met en scène la rencontre entre ces deux générations de travailleurs et travailleuses, qui ont deux expériences très différentes et qui, à la fois, partagent un territoire commun – cette ville, qui représente 350.000 m2 à nettoyer, explique Coline Grando. À travers leurs expériences, le film parle plus largement de la dégradation des conditions de travail, de violence de classe. Il met en lumière un système d’appel d’offre de marché public, qui contraint les différents acteurs à revoir le prix vers le bas, et à augmenter mécaniquement la charge de travail qui pèse sur les travailleurs et travailleuses. Il parle de la destruction du lien et des difficiles conditions d’émancipation des travailleurs et travailleuses peu qualifiés.»

Le documentaire témoigne du marathon quotidien harassant de ces travailleurs invisibles et de la solitude troublante de leurs tâches. Il donne également la parole à l’UCLouvain, et aux étudiants et militants de la CSC qui ont accompagné et soutenu ces travailleurs lors de la reprise en main de leur outil de travail. À travers leurs échanges transparaissent les liens entre les deux époques. Les forces sont la communication, les solidarités et les soutiens syndicaux, sectoriels, etc., et les brèches se manifestent dans la difficulté actuelles de coaliser les travailleurs, mais aussi la dégradation des conditions de travail. «C’est la solidarité qui compte le plus en autogestion», déclare une des instigatrices de la révolution des balais, faisant émerger de l’expérience passée des pistes de solution et de transformation pour l’avenir.

Le film, soutenu par la Centrale nationale des employés (CNE), sortira en parallèle du deuxième volet du site «Nos futurs», qui rassemble des contenus de formes variées autour des organisations collectives du travail.

«Le Balai libéré, Écoutez cette histoire que l’on m’a racontée», de Coline Grando (Belgique, 90 minutes, 2023). Sortie en salle le 17 mai 2023.

Des avant-premières sont organisées à Louvain-la-Neuve (le 18/04), Bruxelles (cinéma Aventure, les 20/04 et 16/05), Liège (Le Parc - Grignoux, le 25/04 à 20h, suivi d’un débat avec, e.a, Thomas Gérard, permanent responsable de la formation à la CSC Liège-Verviers-Ostbelgien), Namur (Caméo, le 27/04), Charleroi (Quai 10, le 9/05), Tournai (Imagix, le 11/05), Nivelles (Ciné 4, le 18/05) et Mons (Plaza Art, le 25/05).

Découvrez l’histoire du Balai Libéré

Le 25 avril à 20h au cinéma Le Parc (rue Carpay à Droixhe - Liège). Thomas Gérard, permanent responsable de la formation à la CSC Liège-Verviers-Ostbelgien, sera l’un des intervenants lors du débat qui suivra le film.

«Balai Libéré»: l’autogestion des travailleuses du nettoyage de l’Université Catholique de Louvain (1975-1990).
Le 25 février 1975, les ouvrières travaillant pour la société de nettoyage ANIC qui effectuent en sous-traitance les travaux de nettoyage pour l’Université Catholique de Louvain sur le site de Louvain-La Neuve se mettent en grève. Celle-ci éclate suite à la décision du patron d’envoyer une vingtaine de travailleuses sur un chantier à 150 km de leur lieu de travail habituel. Cette grève fait également suite à un précédent conflit avec le patron. Les griefs des ouvrières sont multiples: salaire plus bas que la moyenne, frais de déplacement non-remboursés, des mois de travail non-déclarés, etc.

Aidées par des militants de la CSC, les ouvrières mettent en place des groupes de travail afin de formuler des revendications. Rapidement, elles commencent à remettre en cause l’utilité d’avoir un patron pour effectuer un travail qu’elles connaissent mieux que quiconque. Quelques jours plus tard, elles adressent une lettre de licenciement à leur patron et à leur brigadier: «Réunies depuis une semaine dans des groupes de travail et en assemblée générale, les ouvrières de feu votre firme ont constaté ce qui suit: tout d’abord, nous constatons après une étude approfondie de notre travail que nous pouvons parfaitement l’organiser entre nous. (…) Ensuite, nous découvrons que votre rôle principal a été de nous acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la revendre à un prix d’or à l’UCL (…). Nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement sur le champ pour motif grave contre vos ouvrières».

Le 10 mars 1975, elles créent l’ASBL «Le Balai Libéré». En juillet 1979, l’association se convertit en coopérative. La plupart des nettoyeuses et les 6 laveurs et laveuses de vitres prennent des parts dans la coopérative. Des 35 personnes en 1975, elles sont 96 en 1980. L’organisation de l’autogestion évolue à plusieurs reprises durant ses quinze années, avec notamment l’abrogation de toute forme de hiérarchie, et l’instauration d’une tentative de rotation des fonctions dans l’autogestion. «Le Balai Libéré» repose également sur une assemblée générale où les orientations se décident.

Durant ces 15 années, plusieurs améliorations des conditions de travail prennent place: meilleure coordination, conception des horaires liés au transport en commun, aux contraintes de la vie, égalité dans les salaires et augmentation des salaires au barème du secteur, avantages sociaux (par exemple absence sans perte de salaire pour maladie d’un enfant). Cependant, les ouvrières font également face à des difficultés internes, telles que la prépondérance de certaines ouvrières dans l’organisation, ou encore la marginalisation des laveurs de vitre dans les processus de décision.

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