La liberté syndicale, le droit à la négociation collective et le droit de grève forment le triptyque indispensable à une action syndicale efficace. Le droit de grève y occupe une place importante puisque, comme l’écrivent les professeurs Ewing et Hendy, spécialistes du droit public, «en l’absence de droit de grève, négocier collectivement n’est rien d’autre que supplier collectivement». Ces droits et libertés, intrinsèquement liés, sont les prérequis indispensables aux évolutions sociales positives passées, présentes et à venir. Ils ne peuvent se concrétiser que si chacun d’eux est pleinement garanti, en droit comme en pratique.
La liberté syndicale s’entend comme la liberté de défendre ensemble nos intérêts communs. Cette liberté est d’autant plus nécessaire que le travailleur individuel se trouve dans une relation de subordination à l’égard de son employeur. Ce n’est que par le rassemblement de ces individus en syndicat que ce rapport de force subordonné peut se rééquilibrer, voire s’inverser.
Aujourd’hui, cette liberté fondamentale est inscrite dans la Constitution via la liberté d’association, et consacrée dans de nombreuses normes internationales. Les tentatives de décourager l’action syndicale se manifestent de diverses manières, par exemple en mettant en place un modèle économique qui rend l’exercice de la liberté syndicale bien plus compliqué, comme la franchisation.
Ajoutons par ailleurs que les partis politiques hostiles à l’action syndicale plaident régulièrement pour attribuer la personnalité juridique aux syndicats, constitués en associations de fait, dans le but de les rendre responsables de préjudices économiques subis suite à l’exercice légitime d’actions collectives.
Le rassemblement des individus en syndicat rééquilibre les rapports de force.
Le droit à la négociation collective est lui aussi consacré par la Constitution belge et reconnu au niveau international. Ce corollaire indispensable à la liberté syndicale garantit aux travailleurs constitués en syndicat le droit d’engager un dialogue social avec l’employeur en vue d’établir des conditions de travail justes et équitables.
À cet égard, il faut pointer qu’en rendant la loi dite «de 1996» contraignante en 2017, le gouvernement Michel a clairement porté atteinte au droit à la négociation collective, en imposant un carcan dont les paramètres sont biaisés d’entrée de jeu.
Lorsque ce droit est pleinement respecté, il permet aux travailleurs d’avoir un espace de dialogue dans lequel exprimer leurs revendications. À défaut de cela, les travailleurs doivent avoir recours à un autre droit fondamental sans lequel le droit à la négociation collective ne serait qu’un vœu pieux: le droit de grève.
Corollaire indissociable aux libertés et droits précités, le droit de grève constitue un moyen essentiel, sinon le seul, permettant aux travailleurs et à leurs organisations de défendre leurs intérêts. Lorsque la liberté syndicale et/ou le droit à la négociation collective sont bafoués, les travailleurs pourront faire usage de leur droit de grève afin de les rétablir pleinement.
Si le droit de grève est consacré et protégé par des normes internationales telles que la Charte européenne des droits fondamentaux et la Charte sociale européenne, aucune disposition légale ne le consacre au niveau national. La jurisprudence belge a néanmoins estimé que la grève était une cause de suspension légitime du contrat de travail.
En 2002, les interlocuteurs sociaux ont conclu un gentlemen’s agreement (un accord informel, NDLR) afin d’encadrer la gestion des conflits collectifs, notamment pour se prémunir d’une ingérence des autorités dans la réglementation du droit de grève, ce qui pourrait lui porter atteinte.
Certains employeurs déploient des efforts pour anéantir l’efficacité du droit de grève: recours aux travailleurs temporaires, adaptation de l’organisation du travail, menaces de non-réengagement des grévistes, ou encore requêtes unilatérales pour interdire les piquets de grève. Ces pratiques sont encore utilisées aujourd’hui, comme en témoigne le conflit chez Delhaize. On voit également se multiplier les volontés d’introduire des services minimums pour certaines activités de service public.
Aucune disposition légale en Belgique ne réglemente directement et explicitement le droit de grève. Les partisans d’une telle réglementation sont bien souvent ceux qui veulent limiter le droit de grève.
Si la grève n’est pas pénalement répréhensible en elle-même, il arrive encore que des faits qui se sont déroulés au cours d’une action de grève puissent faire l’objet d’une sanction pénale. Si le droit de grève ne permet pas tout, il est néanmoins inquiétant que les militants ou les membres du personnel d’un syndicat courent le risque d’être tenus responsables pour des faits qui se produisent lors d’une manifestation ou d’une grève. La condamnation en 2021 de 17 syndicalistes de la FGTB pour «entraves méchantes à la circulation» constitue à cet égard une évolution inquiétante de la jurisprudence.
Notons par ailleurs que le projet de loi du ministre prévoyant une peine d’interdiction de manifester pour les auteurs de violences pourrait impacter l’exercice du droit de grève (à lire dans l’édito de L’Info n°10).
Les droits et libertés développés dans cet article sont intrinsèquement liés. Sans le droit de grève, au centre du triptyque, le droit à la négociation collective deviendrait le droit de supplier collectivement. Face à la multiplication des dérapages dans le conflit Delhaize (refus de la concertation sociale, fouilles à l’entrée du conseil d’entreprise, arrestation d’une déléguée avec menottes…), il est donc essentiel de rester mobilisés pour défendre ces droits et libertés fondamentaux essentiels à l’action syndicale.
© J.B.