L'acteur icon

L'acteur

L'info n°1109/06/23

«Il ne faut jamais perdre espoir»

Nom: Erdugan Ismajli

Fonction: Mécanicien chez Twin Disc

À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés,
le 20 juin, L’Info a rencontré Erdugan, 25 ans, aléseur numérique chez Twin Disc. Ce jeune Kosovar, dont les parents ont fui la guerre qui a endeuillé le Kosovo entre 1998 et 1999, revient sur son expérience de sans-papiers.

Propos rec. par David Morelli

Comment es-tu arrivé en Belgique?

Je suis né en 1998 au Kosovo, pendant la guerre. Ma famille vivait à Pëje, une bourgade d’une province très pauvre. Mes parents ont décidé de fuir la guerre pour tenter une vie meilleure et nous donner un avenir en Allemagne. Nous y avons vécu jusqu’en 2006 avec mon frère et ma sœur. Le jour même où mon père, qui travaillait comme cuisinier, allait enfin obtenir un CDI, la police a débarqué chez nous à trois heures du matin et nous a renvoyés au Kosovo. Nous nous sommes toujours demandé pourquoi… Sur place, notre maison était détruite. Nous avons vécu chez mon grand-père, dans des conditions de vie très précaires, pendant un an et demi. Mon père travaillait de temps en temps, mais ne gagnait pas grand-chose. Nous sommes finalement arrivés en Belgique, où mon père a introduit une demande d’asile.

Comment vit-on la migration quand
on est enfant?

Le premier mot que nous avons appris quand nous sommes arrivés en Belgique, c’est «manger». Je ne l’oublierai jamais. C’était très compliqué, parce qu’on ne parlait que l’albanais et un peu l’allemand. J’avais neuf ans quand je suis entré en troisième primaire. On avait des voisins très gentils qui essayaient de communiquer avec nous. Certains professeurs donnaient des leçons de français à ma sœur et moi après les cours. On a reçu beaucoup de soutien. Mais jusqu’à mes douze ans, je n’avais pas conscience de notre situation.

Du fait de ne pas avoir de titre de séjour?

Nous avons attendu pendant onze ans une réponse positive de l’Office des étrangers. Durant cette période, nous avons reçu deux ordres de quitter le territoire (OQT). Après le premier OQT, la carte de séjour provisoire n’a pas été prolongée, et l’employeur chez qui mon père travaillait a dû s’en séparer. On n’avait plus rien. On était littéralement devenus illégaux sur le territoire. C’était problématique pour aller à l’école, entre autres pour les abonnements de bus. Je stressais sur le trajet de l’école, parce que si la police nous arrêtait, elle pouvait expulser notre famille.

Comment vous en sortiez-vous au quotidien?

Sans documents de séjour, on n’a pas le choix: il faut travailler au noir pour pouvoir manger, se déplacer, vivre sous un toit et payer les factures pour avoir chaud. Quand j’étais en secondaire, j’accompagnais mon père qui travaillait comme menuisier et jardinier. Il travaillait tous les jours, samedi et dimanche inclus. J’ai pour ma part terminé mes études en septième gestion d’entreprise. J’aurais voulu me lancer dans des études d’ingénieur, mais malheureusement, je n’avais pas les documents nécessaires pour m’inscrire. C’était une période très compliquée, et notre avenir était vraiment limité. J’ai donc continué à travailler avec mon père jusqu’à ce que nous recevions enfin nos papiers.

Vous avez en effet reçu une réponse positive à votre demande?

Nos avocats ont pu annuler les OQT, et nous avons réintroduit à chaque fois une demande. Nous avons finalement reçu une réponse positive en 2019. Je n’oublierai jamais ce moment où la commune nous a appelés pour nous informer que nous allions avoir nos papiers. J’ai tremblé de joie, cette joie de me dire que nous allions enfin pouvoir avancer dans la vie, arrêter de nous cacher et de vivre dans la peur. Avec ces papiers, tout s’est débloqué, toutes les portes se sont ouvertes. J’ai pu passer mon permis de conduire et, une semaine après avoir reçu les papiers, Twin Disc, chez qui j’avais fait un stage de trois semaines en mécanique, m’a contacté pour signer un contrat CDD de six mois.

Comment voyez-vous votre avenir?

J’adore la mécanique automobile. Je travaille avec un mécano indépendant par pur plaisir après mes heures de travail. J’apprends énormément. J’aimerais un jour ouvrir mon propre garage en tant qu’indépendant complémentaire, parallèlement à mon travail chez Twin Disc.

Comment perçois-tu la crise de l’accueil?

À chaque fois que je vois des personnes sans papiers, je me mets naturellement à leur place. J’ai mal pour elles. J’ai envie de leur dire qu’il ne faut jamais perdre espoir, qu’il ne faut jamais lâcher. Les autorités devraient faire l’exercice de se mettre dans la situation de ces personnes et comprendre leurs intentions. Même si j’ai des papiers, encore aujourd’hui, toute ma famille a un coup de stress quand elle voit la police. C’est bizarre, mais c’est resté.