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L'info n°1224/06/22

Métiers scientifiques et  

techniques: place aux femmes!

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De nos jours, le milieu professionnel est encore divisé en métiers «d'hommes» et «de femmes». Celles-ci sont particulièrement peu représentées, voire absentes, dans les métiers techniques et scientifiques. Pourquoi et comment inverser la tendance dans ces métiers, en pénurie?

Vinciane Pigarella

Une première piste de réponse se trouve dans ce qu'on appelle «la division genrée du travail», qui sépare le monde professionnel selon le sexe. Dans cette hiérarchie, les métiers d'hommes sont plus valorisés: ils auraient des dispositions naturelles pour des métiers où prime la réflexion, la construction, le travail manuel. Les femmes, elles, auraient des dispositions naturelles à exercer des métiers liés au soin, à la santé ou encore à l'aide familiale. Cette division du travail est le miroir de notre société où les clichés de genre sont ancrés depuis la petite enfance. Il suffit de jeter un œil aux publicités genrées dans les catalogues de la Saint-Nicolas pour s’en convaincre. «Les images, les représentations sociales et les perceptions culturelles concernant les métiers ne correspondent pas à la réalité, mais sont très persistantes. Y compris chez les parents et les enseignants qui ont un impact important dans la valorisation chez l’enfant de certaines aptitudes, et dans la dévalorisation d’autres, notamment les aptitudes manuelles. Ces stéréotypes genrés des métiers ont pour effet de lever des murs entre les professions dites pour les filles et celles pour les garçons», appuie Pierre Cuppens, secrétaire général de la CSCBIE. 

Pourquoi si peu de femmes dans les STIM?

L'Europe fait face à une pénurie sans précédent de professionnels dans les domaines des activités numériques et des STIM, qui regroupe les métiers scientifiques, technologiques, de l'ingéniorat et des mathématiques. Des secteurs où la différenciation entre les sexes commence dès l'enseignement supérieur. Selon l'Unesco, dans le monde, les femmes ne représentent que 35% des étudiants inscrits dans ces filières. Dans l'enseignement supérieur francophone, alors que six étudiants sur dix sont des filles, seulement une sur quatre est inscrite dans une filière STIM. Les diplômées qui travaillent ensuite dans ces secteurs sont rares. Le principal problème évoqué est la culture machiste, très répandue dans ces milieux. Ces femmes abandonnent la carrière dont elles rêvaient à cause de formes subtiles de discrimination qui envahissent l'industrie. Certains motifs sont récurrents: manque d'engagement réel des entreprises pour l'égalité de genre, manque de transparence et d'équité dans les mécanismes de promotion, micro-agressions subies (devoir justifier ses compétences, son expertise, etc.) ou encore le phénomène des «only», ces femmes qui évoluent dans un environnement de travail majoritairement masculin1.

La CSC lutte contre la discrimination de genre et veille à promouvoir la présence des femmes dans ces secteurs qui doivent être plus inclusifs, diversifiés et adaptés à un monde qui évolue. «L'importance que les responsables des centrales et fédérations mettront sur la question de l'égalité entre femmes et hommes va impacter le travail réalisé avec les permanents et les délégués», précise Gaëlle Demez, responsable Femmes CSC. En effet, ils ont un rôle à jouer pour encourager les femmes à se lancer dans des secteurs masculins, convaincre les chefs d'entreprise de la valeur ajoutée d'équipes de travail mixtes, mettre en place des infrastructures adaptées, diffuser et récompenser les bonnes pratiques en matière d'égalité et d'inclusion au travail. «Au niveau européen, les partenaires sociaux ont compris l'importance d'investir dans les compétences pour pouvoir répondre aux défis climatiques et numériques de demain. Ce sera aussi l'opportunité d'atteindre une égalité sociale en matière de genre. Les partenaires sociaux européens souhaitent voir augmenter la part des femmes dans les filières STIM» ajoute Pierre Cuppens.

Il faut déconstruire l’image masculine de certains métiers.


Les femmes représentent 35% des étudiants inscrits dans les filières STIM.

Tout commence à l'école

Mais comment attirer les jeunes filles dans les métiers scientifiques et technologiques, qu'elles soient engagées et puissent évoluer dans le secteur des STIM? En valorisant leurs compétences dès leur plus jeune âge, au même titre qu'un garçon le serait pour ses capacités scientifiques ou techniques. Un tronc commun, avec des compétences communes (scientifiques, techniques…) transposables, par la suite, à ce qu'on appelle les métiers de transition, peut être bénéfique. «L'orientation scolaire est genrée, explique Gaëlle Demez. Si vous étudiez la mécanique, vous aurez un peu de physique, de maths… Des compétences absentes des filières plus ‘féminines’, comme la puériculture ou la coiffure, où l'on croit à tort qu'il faut moins de formations car nous aurions des compétences innées. Faux! Naître femme ne veut pas dire qu'on sait, d'instinct, s'occuper d'un nouveau-né ou d'une personne âgée. Cela s'apprend. Quand une femme s'occupe d'un bébé ou d'une personne âgée, elle porte également des charges lourdes, mais aussi précieuses. À ce titre, la pénibilité de certains métiers dits ‘féminins’ n'est pas ou peu reconnue.»

Ensuite, il faut déconstruire l'image masculine de certains métiers et compétences et sensibiliser opérateurs et employeurs à engager des femmes. «Si une jeune fille n'a pas, autour d'elle, de mentor ou une personne proche qui l'encourage à exercer un métier technique, scientifique, elle n'y pensera pas spontanément. Lors de sa recherche d'emploi, son conseiller va-t-il lui proposer une seule fois une formation en électricité? interroge Isabelle Michel, secrétaire nationale ACV-CSC Metea. Les enseignants, les conseillers d'orientation, doivent pouvoir dire aux jeunes filles que ces métiers et ces formations existent. Et qu'elles y ont leur place.»

Sensibiliser tous les publics

Une centrale professionnelle, comme l’ACV-CSC Metea (secteurs du métal et du textile), compte 15% d'affiliées féminines. «C'est bien, mais on peut mieux faire, précise Isabelle Michel. Beaucoup des secteurs suivis par Metea sont réputés masculins. Pourtant, nous avons un nombre élevé de permanentes.» Dans la sidérurgie, les femmes sont les grandes absentes. Pour les trouver, il faut aller du côté des lignes de production de la CP111 (construction métallique, mécanique, électrique), par exemple, et dans la partie textile. Metea, dans sa communication, veille à s'adresser autant aux femmes qu'aux hommes. «Quand on signe une convention sur le parrainage en entreprise, on parle aussi de ‘marrainage’. Cela remet les choses en perspectives. Notre vision du genre au sein de la centrale a évolué depuis 20 ans. Des ajustements sont toujours possibles. Changer une habitude culturelle, cela prend du temps.» Le parcours d'égalité et de féminisme évolue en effet parfois lentement. Il interroge notre éducation, les choix posés, la question de la charge mentale et de la répartition des tâches au sein du couple, etc. «Tous secteurs confondus, dès qu'on explique que c'est une question d'injustice, on passe plus facilement à l'action», souligne Gaëlle Demez.

Le temps est toutefois compté: si nous avançons au même rythme qu'aujourd'hui, il faudra attendre 257 ans pour parvenir à la parité dans le monde du travail2. L'égalité et l'intégration des femmes dans les métiers techniques et scientifiques (mais pas seulement) - mais pas seulement - commence dès à présent.

1. Source: Mc Kinsey, “Women in the workplace”, 2021.
2. Source: Forum économique de Davos, 2019.

Vous estimez être victime d'une discrimination sur base du genre?

Contactez votre permanent Diversité ou le service juridique de votre fédération. Vous pouvez également contacter la ligne anti-discrimination au 0800.12.800.


Les compétences scientifiques et techniques doivent être valorisées dès le plus jeune âge.

Et au sein de la CSC?

Historiquement, la CSC est une structure patriarcale. Au sein même du syndicat, le groupe Femmes CSC travaille sur les aspects représentativité à l'interne, et réalise, à l'externe, un travail de sensibilisation dans les entreprises et auprès des délégués sur les points touchant l'égalité. Parmi les outils mis en place, le «Carnet de bord de l'égalité», regroupe des questions que tout délégué doit poser à ses équipes, pour qu'évolue la parité au sein de l'entreprise. «Nous sommes un peu avant-gardistes puisque ce carnet de bonnes pratiques existe depuis environ dix ans» souligne Gaëlle Demez. 

Plusieurs actions sont menées par les fonds sectoriels pour casser ces clichés, sensibiliser les parties prenantes et attirer les filles dans ces secteurs. Cela va d'études spécifiques à des campagnes de communication dans la presse, en passant par la formation continue des enseignants, formateurs, conseillers emploi, orientation et apprenants/travailleurs.

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