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L'info n°1509/09/22

Les travailleurs ukrainiens soumis aux attaques de leur Parlement

L’Ukraine, candidate à une adhésion à l’UE? Oui, mais dans le respect des droits des travailleurs et du dialogue social.

Karin Debroye (adapt. D.Mo)

Selon l’Onu, les six mois de guerre en Ukraine ont fait environ 6.000 victimes civiles1  et 8.000 blessés. 6,6 millions de personnes ont perdu tous leurs biens et 11,4 millions ont fui le pays. Les dégâts matériels aux infrastructures et aux bâtiments, et donc le coût de la reconstruction, s’élèveraient à 1.000 milliards d’euros. 4,8 millions de travailleurs ont perdu leur emploi. Compte tenu des fermetures d’entreprises annoncées, ce sont au total 7 millions d’emplois qui devraient disparaître.

L’Ukraine a pourtant résisté à l’invasion russe. Nous n’avons pas assisté à la mise en place rapide d’un régime pro-russe ou à l’envahissement de la majorité du territoire ukrainien. La population et les travailleurs ukrainiens ont fait face avec courage à l’invasion russe et ont ainsi montré clairement ce qu’ils veulent: une nation ukrainienne souveraine, pour l’Europe et l’UE et pour les valeurs de la démocratie et de l’État de droit.

Menaces sur les droits des travailleurs

Au moment même où ils défendent leur pays face à l’armée russe, les travailleurs ukrainiens sont soumis aux attaques de leur propre Parlement. La Rada2 a voté fin juillet deux lois qui remettent en cause les droits des travailleurs. La loi 5371 enlève à tous les travailleurs occupés dans des entreprises de moins de 250 travailleurs, soit plus de 70% de tous les travailleurs, la protection de la législation du travail et les avantages complémentaires prévus par des conventions collectives de travail (CCT). Les entreprises de moins de 250 travailleurs peuvent se soustraire aux dispositions des CCT conclues dans le secteur ou au niveau national. L’Organisation internationale du travail (OIT) a déjà jugé précédemment que cette loi était contraire à plusieurs conventions internationales du travail. Une deuxième loi autorise désormais le recours à des contrats zéro-heure ou des contrats à l’appel. Deux autres propositions de loi visent à exproprier les immeubles appartenant aux syndicats: des sanatoriums et centres de vacances et de formation résidentiels qui ont servi depuis le début de la guerre à l’accueil d’urgence de 300.000 personnes déplacées. Le gouvernement et le parlement semblent vouloir profiter de la guerre et de la loi martiale qui limite fortement les actions publiques pour mettre en place insidieusement une politique anti-sociale et contraire aux intérêts des travailleurs.

Le respect des droits des travailleurs et du dialogue social est l’une des conditions essentielles d’une adhésion à l’UE.

Considérer les syndicats comme des partenaires

Pour Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), il est grand temps que l’Union européenne (UE) envoie un message clair au gouvernement et au parlement ukrainiens: le respect des droits des travailleurs et du dialogue social est l’une des conditions essentielles d’une adhésion à l’UE. Le président Zelensky doit user de son droit de véto pour annuler les lois anti-travailleurs. Le gouvernement doit considérer les syndicats, qui font d’énormes efforts pour accueillir les personnes déplacées, comme des partenaires de la reconstruction et non comme des ennemis qu’il faut expulser de leurs propriétés. Les interlocuteurs sociaux, syndicats et organisations patronales doivent pouvoir jouer leur rôle dans le dialogue social pour la reconstruction et dans les programmes financés par l’UE. Ils en sont actuellement exclus par le gouvernement.

La reconstruction doit reposer sur un pacte social, avec une attention spécifique pour l’emploi, des salaires corrects, la protection du droit du travail, la protection sociale et le dialogue social. Ces dernières années, la CSC, tout comme la Confédération européenne des syndicats, s’est toujours montrée favorable à l’élargissement de l’Union européenne dans les Balkans occidentaux et à nos frontières de l’Est. Un tel élargissement favorise la coexistence pacifique et la collaboration économique en Europe. La CSC a accueilli positivement le statut de candidat à l’UE accordé à l’Ukraine. Nous soulignons toutefois que les conditions d’adhésion doivent être remplies. Le statut de candidat doit constituer un levier pour le respect des droits humains, des droits du travail, du dialogue social et de la participation des travailleurs, mais aussi de la démocratie et de l’État de droit.

L’UE pour la paix et le développement

Avant les vacances d’été, la CSC a co-signé une lettre ouverte du mouvement pacifiste à l’attention du premier ministre. Elle y a exprimé notre préoccupation face à l’augmentation du militarisme et des dépenses militaires, alors que les travailleurs belges souffrent de l’impact social et économique de la guerre et des sanctions, et vont devoir faire face à un hiver difficile compte tenu de la hausse des prix de l’énergie et du coût de la vie.

Dès l’éclatement du conflit, la CSC a plaidé, avec l’ensemble du mouvement syndical européen, pour un renforcement du rôle de l’UE dans le processus de paix. Six mois après l’invasion russe, que nous condamnons toujours avec autant de force, nous rappelons que l’UE doit jouer son rôle dans le processus de paix, dans le respect de la démocratie, des droits humains et des traités internationaux.

1. Le nombre de victimes militaires n’est pas communiqué officiellement, mais il devrait être au moins cinq fois plus élevé que le nombre de victimes civiles du côté ukrainien, et dix fois plus élevé du côté russe.
2. Parlement monocaméral de l'Ukraine.

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