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L'info n°1509/09/22

Construction

L’exploitation économique et le
dumping social doivent cesser!


Les victimes travaillaient sur le chantier de Borealis dans le port d’Anvers.

Cent septante-quatre travailleurs de la construction occupés sur le chantier de Borealis, dans le port d’Anvers, ont été victimes d’exploitation et de traite des êtres humains. Ceux-ci devaient travailler 6 à 7 jours pour un salaire mensuel de 650 euros et vivaient dans des conditions déplorables.

L’exploitation économique et le dumping social sont, pour la CSC Bâtiment – Industrie et Énergie (CSCBIE) devenus monnaie courante. Les accidents de travail mortels sur les chantiers belges sont de plus en plus fréquents. Ce sont très souvent des travailleurs étrangers qui en sont les victimes. «L’exploitation sociale et la traite des êtres humains sur le site de Borealis montrent que le secteur de la construction en Belgique est en train de se gangrener. De tels abus sont inacceptables et doivent cesser de toute urgence!», insiste Patrick Vandenberghe, président de la CSCBIE. 

Cette tendance se poursuit depuis que la jurisprudence européenne permet d’occuper des ressortissants des pays tiers en Europe. Il n’y a désormais plus de limites. Les habitants de Moldavie, de Géorgie et d’Ukraine peuvent facilement obtenir l’accès à un emploi en Europe en s’inscrivant auprès d’une entreprise européenne. Des accords bilatéraux sont même conclus entre la Roumanie et le Népal et entre la République tchèque et les Philippines.

Exploitation sociale

Les trafiquants d’êtres humains, qui sont également actifs au Qatar, élargissent de cette manière leur marché vers l’Union européenne. En effet, les mêmes systèmes qu’au Qatar sont de plus en plus utilisés chez nous: des bandes organisées établissent des sociétés temporaires et cherchent à obtenir des contrats de sous-traitance. Les travailleurs étrangers recrutés se contentent des meilleurs salaires que dans leur pays d’origine. 

Si des entreprises comme Borealis paient 50 euros de l’heure les coûts de main-d’œuvre au sous-traitant, seuls 5 euros de cette somme finissent dans la poche du travailleur détaché. Les trafiquants génèrent ainsi de gros bénéfices.

Mesures concrètes

La CSCBIE dénonce ces pratiques abusives depuis de nombreuses années. Elle souhaite que des mesures concrètes soient rapidement mises en œuvre aux niveaux national et européen pour: 

  • enregistrer de façon numérique et contrôlée les présences de chaque travailleur pour chaque minute passée sur le chantier (check-in/check-out);
  • investir amplement dans l’auditorat du travail et renforcer les services d’inspection; 
  • limiter la chaîne de sous-traitance;
  • organiser des contrôles plus stricts de la réglementation en matière de détachement; 
  • stopper le flux mondial de main-d’œuvre bon marché;
  • s’attaquer aux faux indépendants et aux faux associés (pratique de plus en plus utilisée pour contourner la législation du travail). 

Endiguer le fléau

Bien que la CSCBIE aborde régulièrement cette problématique avec les employeurs au niveau de la concertation sociale, elle constate une certaine lenteur et des difficultés de mise en œuvre. Les employeurs craignent en effet que les petites entreprises de construction locales ne soient soumises à trop de règles et de contrôles. Une initiative doit également être prise au niveau politique. La CSCBIE est résolue à poursuivre ses efforts pour convaincre les gouvernements et les organisations patronales afin d’endiguer ce fléau.

Trop peu de contrôles

Les pratiques mises en lumière chez Borealis peuvent rester longtemps sous le radar. Pourquoi? Parce qu'il n'y a pas assez d'inspecteurs.

Propos recueillis par Dominic Zehnder (Visie)

«La capacité d'inspection est malheureusement très limitée. Ce n'est qu'une fois toutes les quelques décennies qu'un lieu de travail doit s'attendre à être inspecté», déclare Kris Van Eyck, expert en bien-être au travail pour la CSC. «Actuellement, il y a environ 77 inspecteurs à plein temps pour vérifier la sécurité de quatre millions de travailleurs dans notre pays. Et ce, dans quelque 295.000 endroits. Ces effectifs devraient au moins être doublés.»

Kristien Colman, inspectrice sociale à l'inspection du travail depuis près de 20 ans, confirme ce constat. «Trouver qui travaille et pour quelle entreprise sur un chantier de construction est un défi: il arrive souvent que jusqu'à dix sous-traitants travaillent sur un même chantier. Nous vérifions combien les travailleurs sont payés et combien d'heures ils travaillent. Tous les travailleurs devraient recevoir, pour un même travail, le même salaire qu'un travailleur belge.

«Trouver qui travaille et pour quelle entreprise sur un chantier de construction est un défi.»

Mais le contrôle d'une entreprise étrangère demande beaucoup plus de travail. Notre tâche principale, le contrôle des salaires et des conditions de travail, commence à en souffrir. Une plainte d’un travailleur entraînait autrefois un audit de toute l'entreprise. Maintenant, elle conduit généralement à une enquête limitée. Le fait que de plus en plus de tâches nous soient imposées signifie que nous pouvons travailler moins en profondeur. Dans certaines régions, nous n'avons qu'un inspecteur pour 2.500 employeurs.»


© Joris Herregods