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L'info n°1509/09/22

La dette wallonne est-elle soutenable?1


La dette publique wallonne croît depuis 2010.

Peut-on encore maîtriser la dette publique de la Wallonie? Il ressort d’un rapport de la commission externe de la dette que si les risques de dérapage sont élevés, ils ne sont néanmoins pas inéluctables. Des pistes de solutions socialement justes sont envisageables.

D. Mo.

Dans le débat sur la dette publique, les fausses évidences idéologiques se conjuguent souvent à la technicité des arguments pour confisquer un débat qui concerne pourtant tout le monde. 

Pour aborder cette question, il faut tout d’abord déconstruire ces fausses évidences:  

Le budget de l’État se gère en bon père de famille.
Doit-on vraiment toujours payer ses dettes? Ce qui est vrai pour un ménage ne l’est pas nécessairement au niveau d’une collectivité. En effet, en tant qu’outil financier, la dette publique est une manière pour l’État (ou, ici, la Région) de mobiliser l’épargne privée des ménages et des entreprises offrant aux épargnants (ses créanciers) des obligations publiques peu risquées. 

Mais la dette publique est avant tout un outil économique et politique au service du bien commun. Elle permet à une collectivité de financer les services publics, d’absorber l’impact des chocs majeurs (crise sanitaire, inondations…) ou de préparer la société aux défis du futur en initiant les transitions nécessaires. 

Par ailleurs, à la différence des individus ou des entreprises, une Région n’a pas de durée de vie limitée. Elle peut donc se permettre de ne pas viser l’équilibre budgétaire à court terme, mais de faire «rouler sa dette» sur le moyen et le long terme afin de financer les hôpitaux, les écoles, les infrastructures de transport… et de faire face aux crises. 

La dette publique est un fardeau pour les générations futures.
La référence aux générations futures est la manière dont le discours néolibéral justifie son intolérance aux dettes. Or, en s’endettant pour investir, un état ou une Région accumule aussi un précieux patrimoine qui bénéficiera à tous, y compris aux générations futures. Car à côté de ce que l’on doit, il y a aussi ce que l’on possède…

En temps de crise, il faut se serrer la ceinture.
La crise financière de 2008 a démontré qu’une politique d’austérité peut s’avérer contre-productive en période de crise. Lorsque le gouvernement augmente ses dépenses, le revenu perçu dans l’économie augmente également et génère de nouveaux flux de dépenses, sous forme de consommation et d’investissements. Une augmentation des dépenses publiques entraîne une augmentation de l’activité alors qu’une contraction budgétaire en période de crise aggrave la récession. Une politique d’austérité, en plus d’être injuste et douloureuse socialement, est inefficace sur le plan économique.

La Wallonie est-elle surendettée?

La dette publique wallonne croît de manière quasi ininterrompue depuis 2010. En 2021 elle approchait de la barre symbolique des 30 milliards d’euros, soit un taux d’endettement de 200% des recettes totales (c’est-à-dire 100% du PIB wallon). C’est un endettement élevé, mais pas alarmant. Il se situe dans la moyenne belge. Dans un contexte très favorable à l’emprunt, il était donc justifié de soutenir une politique volontariste d’investissements publics.

Projections 2020-2030

La commission externe de la dette et des finances publiques (CEDFP) a fait des projections pour voir où cette évolution conduirait à l’horizon 2030. Le rapport conclut qu’à politique inchangée, la dette tutoierait la barre des 50 milliards (280% des recettes) à l’horizon 2030. En cause, la persistance de déficits structurels de 10% qui l’alimentent en continu, l’endettement continuant à croître plus vite que les recettes. Il propose d’infléchir cette courbe pour revenir, d’ici 2030, à un niveau de dette de 180%. Ce niveau plus soutenable2 permettrait aux finances publiques d’absorber les chocs et d’investir pour la relance en évitant un emballement du marché. 

Pour revenir à une trajectoire de dette soutenable, la commission recommande, entre autres, une surveillance continue de la dynamique de la dette et la réalisation d’un effort structurel de 150 millions par an (soit 1% du budget annuel wallon).

En 2021, la dette
wallonne approchait
des 30 milliards
d’euros.

Une autre approche est possible

Si la CSC souscrit à la recommandation d’une gestion plus dynamique de la dette, il lui paraît plus prudent, s’agissant de l’effort structurel annuel de 1% du budget, d’adopter une stratégie graduelle permettant de dégager des marges de manœuvre importantes à l’horizon 2030. D’autant que la Région wallonne ne dispose pas des mêmes marges que l’État pour réduire son endettement. 

Une autre option, privilégiée par la CSC, c’est le choix d’indicateurs qui considèrent avant tout le niveau de danger engendré par un niveau d’endettement. Cela conduirait sans doute à des conclusions moins alarmistes. Il n’est par contre pas question de cimenter cet effort budgétaire dans une sorte de «règle d’or» budgétaire régionale comme le propose le rapport.

Enfin, la CSC prône une réelle réforme fiscale pour augmenter les ressources de la Région et réduire les inégalités. Elle veut une politique fiscale efficace, socialement juste instaurant davantage de progressivité dans l’imposition des personnes et faisant participer davantage les revenus immobiliers, du patrimoine, des entreprises, ainsi que la fiscalité environnementale aux recettes fiscales.

Une réflexion d’avenir

S’il ne permet pas de trancher définitivement la question de la soutenabilité de la dette régionale, en raison d’une approche que la CSC wallonne juge trop orthodoxe, le rapport de la commission apporte de précieux éléments pour nourrir le débat interne.

1. La source de cet article est une note rédigée par Muriel Ruol, du service d’études de la CSC, présentée au Conseil régional wallon en avril 2022.
2. Une dette publique est soutenable lorsqu’il est hautement probable que son évolution sur le moyen et le long terme est bien maîtrisée.


La Région ne dispose pas des mêmes marges que l’État pour réduire son endettement.

Pourquoi une dette publique soutenable?

  1. Pour créer les marges de manœuvre nécessaires à l’absorption des chocs futurs et aux investissements d’avenir. 
  2. Parce que la Région wallonne ne peut compter sur les effets bénéfiques de sa politique macroéconomique: il faudrait, dans le meilleur des cas, une amélioration généralisée à l’échelle du pays et de l’Europe. 
  3. Parce que les conditions financières sont appelées à se resserrer (normalisation des taux d’intérêt, risques inflationnistes). 
  4. Parce que les dettes publiques ont explosé partout: on ne peut exclure des effets de contagion suite à un accident dans un pays voisin. 
  5. Les dettes de la Fédération Wallonie-Bruxelles et des pouvoirs locaux prennent des proportions inquiétantes, sans compter la dette des pouvoirs locaux.


© Jean-Luc Flémal/Belpress.com, © Patrick Lefevre/Belpress.com