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L'info n°508/03/2024

alimentation

À qui profite la hausse des prix?

Une étude réalisée par Olivier Malay, enseignant à l’ULB et collaborateur au service d’études de la CSC Alimentation et Services (A&S), met en lumière le fait que pour certains acteurs du secteur alimentaire, les hausses des prix à la caisse ont constitué une aubaine pour augmenter leurs profits.

Olivier Malay (adapt. D.Mo.)


Le prix de la nourriture a augmenté de 24% en deux ans.

Selon Test-Achats, le prix des carottes a augmenté de 65% en deux ans (2023), tandis que celui des fish sticks a augmenté de 21%, et que les frites surgelées sont 64% plus chères. L’agence statistique belge indique quant à elle que le prix de l’ensemble de la nourriture a augmenté de 24% en deux ans (Statbel, 2023). La guerre en Ukraine, des sécheresses et la crise énergétique sont passées par là. Mais ces événements ne suffisent pas à expliquer la totalité de la hausse des prix. Des entreprises ont amplifié les hausses de prix générales et ont engrangé des profits exceptionnellement élevés. Cela dénote en particulier avec la situation des agriculteurs qui font aujourd’hui l’actualité.

L’industrie alimentaire: multiplication des bénéfices

Si l’on veut comprendre à qui bénéficie la hausse des prix, il faut dès lors remonter la chaîne et analyser les fournisseurs des supermarchés, c’est-à-dire l’industrie alimentaire. Ce sont des fabricants de marques, comme Côte d’Or, Soubry ou encore Knorr. On constate une hausse des profits de l’industrie alimentaire belge de 33,2% en 2022 (+662 millions d’euros), et même de 78,2% si on se limite aux entreprises les plus grandes (200 travailleurs et plus). Les quantités vendues n’ayant presque pas augmenté, on peut raisonnablement considérer que ces hausses de profit proviennent de hausses de prix facturées aux commerces et aux consommateurs. En d’autres termes, lorsque les prix payés par les consommateurs augmentent, une partie de l’augmentation vient directement enrichir certaines entreprises et derrière elles, leurs propriétaires.

Certaines entreprises ont réalisé des profits particulièrement élevés en 2022. C’est le cas par exemple des poids lourds de la patate et de la frite – Clarebout, Agristo et Lutosa. C’est le cas aussi des géants sucriers: Tereos et la Raffinerie Tirlemontoise. En 2022, ces cinq entreprises cumulées ont obtenu un bénéfice de 704 millions d’euros. Cela correspond à une multiplication de leur bénéfice d’exploitation par sept par rapport à 2021, ou par neuf par rapport à la moyenne pré-Covid.

La spéculation se gave

Nombre d’aliments vendus en Belgique sont produits ailleurs. En outre, même pour ceux qui sont produits en Belgique, une partie des ingrédients utilisés proviennent de l’étranger. La hausse des prix a donc une dimension internationale très marquée, et en effet, on retrouve également des hausses de profits importantes au niveau de l’achat des denrées alimentaires de base.
Les quatre plus grands négociants mondiaux en denrées alimentaires, les «ABCD» (les initiales de ADM, Bunge, Cargill, et Louis Dreyfus), qui contrôlent entre 70 et 90% du marché mondial des céréales, ont vu leurs bénéfices doubler en 2022, pour atteindre les 13 milliards de dollars. D’autres multinationales alimentaires, telles que Mondelez ou Unilever, sont dans ce cas. Elles voient leurs bénéfices croître fortement grâce aux hausses de prix.

Il y a encore une autre catégorie d’acteurs pour qui la hausse des prix au supermarché est une aubaine: ce sont les spéculateurs sur les matières premières. Ces acteurs anticipent la hausse des prix de l’alimentaire en achetant des denrées alimentaires, afin de les revendre plus tard à un prix plus élevé. Ce faisant, ils ont accru la hausse générale des prix. De manière générale, la spéculation sur les denrées alimentaires s’est accrue dans la période récente. Notons également que les spéculateurs sur les denrées alimentaires ne sont pas uniquement des acteurs financiers comme des banques ou des fonds de pension. Selon la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced, 2023), de grandes entreprises alimentaires, notamment les «ABCD», ont développé dans la dernière décennie des filiales dédiées à la spéculation. Elles profitent donc de la situation doublement. D’une part, en augmentant les prix sur les produits transformés qu’elles vendent. D’autre part, en spéculant sur les achats et reventes de denrées alimentaires sans être soumises aux régulations du secteur financier. La Cnuced pointe le «rôle disproportionné que les activités non-opérationnelles (la spéculation) jouent dans l’ère actuelle de super profits».

Que faire face à cela?

Le plus important est de se rendre compte que les hausses de prix au supermarché ne tombent pas du ciel, et profitent toujours à quelqu’un. Une solution est la taxation de ces profits par l’État. Cela permettrait à la fois d’envoyer un message aux entreprises, afin de les désinciter à augmenter leurs prix de manière excessive. Mais cela pourrait également dégager des ressources pour soutenir les ménages et les PME en difficulté, ainsi que s’attaquer à la dette publique. 

Source: calculs réalisés sur la base des comptes annuels (BNB) compilés via Belfirst.

© Shutterstock

«Ces bénéfices n’ont pas été utilisés pour améliorer les salaires»


«Nous pouvons constater que le chiffre d’affaires et le volume des ventes des entreprises ont augmenté, ce qui a généré des bénéfices très élevés. Ces bénéfices n’ont pas été utilisés pour améliorer les salaires et les conditions de travail des employés. D’un point de vue économique, il était possible d’accorder aux travailleurs une part des bénéfices supplémentaires. Mais sous la pression des employeurs, la loi sur la norme salariale a été encore renforcée en 2017 et aujourd’hui, il n’y a légalement aucune marge pour améliorer les salaires des travailleurs».

I Steve Rosseel, secrétaire national de la CSC A&S I