Le dossier

L'info n°1722/09/2023

Entreprises de travail adapté:

entre incertitudes et évolutions

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Le secteur des entreprises de travail adapté (ETA) fait preuve de résilience depuis de nombreuses années. Mais jusqu’à quand pourront-elles le faire? Quels défis les attendent?

Vinciane Pigarella

La mise en chômage économique due à la crise Covid a laissé des traces dans les ETA, ces entreprises d’économie sociale qui favorisent l’inclusion par le travail de la personne handicapée. La plupart évoluaient dans des secteurs essentiels. Certains travailleurs se sont retrouvés dans une profonde détresse économique, mais aussi humaine, car pour beaucoup d’entre eux, l’ETA est à la fois leur lieu de travail et de vie, le lieu où se tisse et se crée du lien social. Dans ce secteur, le travailleur – 12.000 personnes à Bruxelles et en Wallonie – est au cœur même de l’entreprise et des négociations. Afin de pallier à l’urgence sociale, la CSC bâtiment – industrie & énergie (CSCBIE), la Centrale générale FGTB, et la Fédération wallonne des entreprises de travail adapté ont travaillé de concert pour mener à la signature de plusieurs conventions collectives de travail (CCT). L’une d’entre elles vise à une meilleure prise en charge, et sur une plus longue durée, du chômage économique. Une initiative qui, jusqu’à présent, se limite à la Wallonie et la communauté germanophone.

L’entreprise s’adapte aux travailleurs

En ETA, c’est l’entreprise qui s’adapte aux travailleurs, et non l’inverse. L’accompagnement social y est essentiel afin de permettre aux travailleurs de se sentir mieux dans leur travail en ayant une production adaptée et en respectant les capacités de chacun. «Bien que cela semble logique, il est important de le rappeler, et on commence à voir de bons résultats. Suite à plusieurs revendications, les travailleurs sont de plus en plus soutenus par leur service social. Les adaptations de postes et de postures se font en concertation avec les ergothérapeutes1, explique Luca Baldan, secrétaire fédéral de la CSCBIE. À l’avenir, il faudra aussi veiller au rôle de l’assistant social, qui tend à disparaître au profit de tâches administratives.»

Victoires syndicales

Dans une ETA, comme dans une entreprise ordinaire, tout n’est pas parfait, mais des avancées ont été obtenues par les syndicats et suivent deux lignes directrices: assurer le bien-être des travailleurs valides et non valides au sein des ETA, et améliorer le pouvoir d’achat dans les accords du non-marchand. «Grâce au décret inclusion, nous avons obtenu de belles avancées pour Bruxelles et via le Cwass (Code wallon de l’Action sociale et de la Santé) pour la Wallonie et la communauté germanophone», poursuit Luca Baldan. Grâce à la CSCBIE et ses partenaires, les ETA sont passées dans les accords du non-marchand et ont obtenu des résultats. Pour Bruxelles, par exemple, l’accord 2018-2021 a abouti à une augmentation de la prime de fin d’année sectorielle. «De 3,16%, avec certaines indemnités, on passe à 7,55%, précise Luca Baldan. La mobilité intrabruxelloise via les transports en commun devrait être prise en charge à 100%, et nous avons obtenu un jour de congé sectoriel, en plus des jours légaux.» Idem en Wallonie, où la CSCBIE a réussi à obtenir des jours de congés supplémentaires suivant l’ancienneté (un total de dix jours par an pour un travailleur de 55 ans) ainsi qu’une revalorisation salariale. «Ce sont des grandes victoires syndicales, appuie Luca Baldan. Une grille d’ancienneté pour les travailleurs en ETA sera effective dès 2024. Une première pour les travailleurs de ce secteur.»

Objectif marchés publics

Pour la CSCBIE, une reconversion totale des ETA doit avoir lieu. Cela passe par la formation en entreprise. «Certes, il y a la digitalisation, la transition écologique, l’économie circulaire… mais il faut rester centré sur les projets des professionnels des personnes en situation de handicap», précise Luca Baldan. Un projet est sur la table, pour la région bruxelloise, entre le cabinet de Rudi Vervoort (PS), la fédération patronale, les instances syndicales et le Phare, pouvoir subsidiant. Un «new deal», qui doit permettre aux ETA de rester un lieu d’épanouissement pour les travailleurs et de les rendre incontournables dans le monde économique bruxellois. «Depuis des années, la CSCBIE demande qu’un pourcentage des marchés publics – au moins 3 à 5% – soit exclusivement à destination des ETA. Comme pour les entreprises ordinaires, l’ETA qui remettra une offre pour le meilleur service et la rapidité d’exécution obtiendrait le marché public.» Les conclusions de cette étude et les conditions de mise en œuvre sont attendues durant le premier trimestre 2024.

L’Europe a-t-elle peur des ETA?

Une volonté européenne souhaite inclure les travailleurs des ETA dans des entreprises valides et à terme, fermer les ETA. «C’est plus qu’une volonté, tant la pression est forte. Le cabinet de la sénatrice Morealle (PS) et le gouvernement wallon ont été attaqués par un rapport au Cwass, concernant la réglementation des ETA wallonnes, considérée comme une concurrence déloyale par rapport à d’autres secteurs. Résultat: on a dû refaire un décret, où une personne subsidiée à 90 – voire 95% à l’époque – est désormais subsidiée à hauteur de 75%. Et ce uniquement pour rentrer dans les normes européennes.» Dans ce nouveau contexte, ce sera à l’employeur de combler la différence. On comprend dès lors pourquoi cette réglementation inquiète fortement la CSCBIE, qui appréhende des licenciements parmi les travailleurs du secteur. Heureusement, grâce aux négociations de la CSCBIE, les ergothérapeutes, assistants sociaux, ainsi que les moniteurs qui encadrent des équipes de travailleurs sont subsidiés à 100%. «Mais la frontière n’est pas loin de vouloir se débarrasser de certains travailleurs, qui coûtent un peu plus cher et qui ne sont pas subsidiés.»


En ETA, l’objectif est que les travailleurs aient une production adaptée à leurs capacités.

Manque de courage politique

Le système des ETA n’échappe pas aux changements, la CSC BIE en est consciente. «Il faudrait sortir les ETA du monde des ASBL – qui fonctionne avec un conseil d’administration souvent externe et bénévole et qui ne s’occupe pas de ce type d’entreprises – et du non-marchand et les basculer dans le marchand, comme une entreprise type où le pouvoir subsidiant ou le cabinet a son mot à dire. Le secteur doit tout d’abord être professionnalisé, et il faut ensuite une volonté politique pour mieux encadrer les ETA.»

Mais le politique a-t-il cette volonté? Luca Baldan en doute. «Tout le monde parle d’inclusion de la personne handicapée, mais moins de 1% des travailleurs en ETA iront dans le circuit ordinaire. Les travailleurs handicapés sont volontaires. Ils ont choisi d’aller travailler alors qu’ils peuvent bénéficier d’une pension d’invalidité et rester à la maison. Ils veulent tisser des liens avec la vie, surtout sociale, et se sentir utiles à la société. Dans les ETA, la conscientisation et la solidarité sont énormes, et l’inclusion peut apporter des bénéfices à d’autres entreprises», conclut le secrétaire fédéral CSCBIE.

La demande est là. Seule manque l’envie du politique d’y répondre. 

1. L’ergothérapeute fait des adaptations personnalisées en fonction de la condition de santé de chaque travailleur.

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12.000

personnes travaillent en ETA à Bruxelles et en Wallonie.