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L'info n°1911/11/22

La CSC sur le terrain


Pierre Cuppens et Smritee Lama, du syndicat népalais Gefont

Durant presque une décennie, la CSC Bâtiment – Industrie & Énergie (CSCBIE) a travaillé pour sortir les travailleurs migrants du système d’esclavage moderne qui avait cours au Qatar avec la complicité de la Fifa.

David Morelli

«Quand on a appris l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, nous nous sommes battus pendant deux ans pour qu’elle ne s’y déroule pas, reconnaît Pierre Cuppens, secrétaire général de la CSCBIE. On a ensuite décidé d’essayer de tirer profit de la médiatisation d’une telle compétition pour pouvoir faire avancer le droit des travailleurs partout dans le monde et principalement dans les pays du Golfe.»

Carton rouge

Dès 2013, une délégation de la CSCBIE se rend au Qatar et constate les conditions de travail dignes des travaux forcés que connaissaient les centaines de milliers de travailleurs migrants venus y travailler, entre autres dans la construction, pour nourrir leur famille.

Pour la CSCBIE et l’IBB, la Fifa porte une lourde responsabilité dans ce dossier: c’est elle qui a attribué la Coupe du monde de football au Qatar et qui détermine les conditions pour la construction des stades et de l’infrastructure. Face à cette tragédie humaine, la CSCBIE lance l’alarme auprès des autorités locales et de certaines multinationales de construction actives sur les chantiers.


«Le problème dans les compétitions sportives mondiales, c’est que personne ne se sent responsable des conditions de travail. Entrepreneurs, États et organisateurs se renvoient la balle»
déplore Pierre Cuppens.


Les violations du droit du travail demeurent le quotidien de nombreux travailleurs migrants.

Remontada

Suite à un intense travail syndical, depuis 2017, les lignes bougent. Au niveau des entreprises, un accord cadre international est signé avec la multinationale Besix (lire L’Info n°4), afin de promouvoir le devoir de vigilance et de protéger les travailleurs partout où Besix est actif. Cela passe par des normes à respecter par les prestataires de services, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants, notamment en matière de conditions de travail, et des missions conjointes, entre autres, avec la CSCBIE, de contrôles des chantiers.

Si du côté de la Fifa on botte en touche en matière d’actions concrètes et de responsabilité sociale des entreprises, le travail réalisé par la CSCBIE avec l’Union belge de football (URBSFA) abouti à une vraie prise de conscience qui se traduit par la création d’une plateforme d’information et de consultation réunissant la CSCBIE, la CGFGTB, l’URBSFA et Amnesty Belgique (L’OIT et la Fifa y sont invités). Au Qatar, l’URBSFA a signé une charte avec l’hôtel où logeront les Diables rouges assurant le respect du droit du travail pour les employés de l’hôtel. Une visite a eu lieu sur place pour rencontrer les travailleurs.

Au niveau de l’État qatari, la pression internationale abouti à la signature d’un accord qui constitue une avancée indéniable en matière de normes de travail. «Les réunions, visites, enquêtes et pressions réalisées en collaboration avec d’autres syndicats, dont Gefont et l’IBB, ont permis des avancées comme l’instauration d’un salaire minimum et l’abolition du Kafala, se réjouit Pierre Cuppens. Mais ces avancées ne sont pas suffisantes. Il reste encore beaucoup à faire en termes de droits humains, de sécurité et de bien-être. À cet égard, on exige de l’État qatari le maintien des acquis et la création d’un centre pour les travailleurs migrants au niveau du pays.» 

Jouer les prolongations

Après quasi une décennie de combat pour améliorer les conditions des travailleurs, Pierre Cuppens est fier des avancées obtenues. «Grâce au travail accompli par la centrale et l’internationale de la construction, il y a bien moins de décès qu’auparavant. Notre combat a permis de sauver des vies. Néanmoins, ce qui nous tracasse, c’est le risque de perdre les avancées obtenues lorsque la Coupe du monde se terminera. Aujourd’hui, on travaille donc sur de la consolidation: on exige de l’État qatari le maintien des acquis et on soutient l’IBB dans la création d’un centre pour les travailleurs migrants.» 

Et finalement, est-il adéquat de regarder la Coupe du monde? «On peut regretter qu’elle se déroule au Qatar mais, maintenant, il est important qu’elle ait lieu: il ne faut pas que les travailleurs soient décédés pour rien. Je regarderai chez moi les belges jouer.»

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