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L'info n°1911/11/22

Coupe du monde au Qatar: 

un match de 10 ans

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Rarement l’organisation d’une Coupe du monde aura fait couler autant d’encre. Et de sang. Si le monde politique semble prendre conscience tardivement des conditions dans lesquelles le tournoi s’est – littéralement – construit, cela fait des années que la CSC dénonce la manière dont les travailleurs migrants sont traités au Qatar.

David Morelli

Au moins 6.500 travailleurs ont perdu la vie lors de la construction des infrastructures permettant l’accueil de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Ce chiffre épouvantable, révélé en février 2021 par le journal anglais The Guardian, a jeté une lumière crue sur une situation humaine intolérable et sur la responsabilité écrasante du Qatar, de la Fifa et des entreprises impliquées. «Beaucoup de travailleurs ont perdu la vie» déplore Smritee Lama, du syndicat népalais Gefont qui apporte son soutien aux travailleurs migrants, entre autres, au Qatar. «Pendant des mois, jusqu’à 2.800 personnes quittaient chaque jour le Népal pour partir travailler dans un État du Golfe. En prenant l’avion, ils pouvaient voir entre un et trois cercueils qui, quotidiennement, revenaient du Qatar, sans explication sur la cause du décès».

Le Qatar, État pétrolier et gazier le plus riche au monde, est sous le feu des projecteurs des organisations syndicales internationales depuis l’attribution controversée de l’organisation du tournoi. L’Émirat a lancé la construction, entre autres, d’un port, d’un aéroport international, d’une ligne ferroviaire… et de six stades de football. Des projets titanesques impliquant de faire massivement appel à de la main d’œuvre étrangère. Aujourd’hui, le Qatar compte environ 2,8 millions d’habitants, dont 2,3 millions de travailleurs immigrés, majoritairement originaires de l’Asie du Sud: Inde, Bangladesh, Népal… Ils travaillent dans la construction mais aussi dans le nettoyage, les transports, la pêche ou comme domestiques.

6.500

travailleurs au moins ont perdu la vie lors de la construction des infrastructures pour l’accueil de la Coupe du monde.

Première mi-temps: les migrants dominés

La Confédération syndicale internationale (CSI), l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) et la CSC ont rapidement attiré l’attention sur les conditions de travail esclavagistes subies par la plupart des migrants: salaires très bas, situations d’insécurité aboutissant à de nombreux accidents de travail mortels, longues journées de travail, logement dans des camps insalubres… Face à ces conditions de travail inacceptables, deux obstacles de taille: l’interdiction de s’organiser dans un syndicat et le système de «kafala». Ce système de parrainage appliqué à la main-d’œuvre étrangère, donne à l’employeur le pouvoir de décider si son travailleur peut changer d’emploi ou quitter le pays, grâce à un visa de sortie.

«Lorsque la Fifa a attribué l’organisation de la Coupe du monde au Qatar en 2010, la situation des travailleurs népalais était déjà déplorable dans ce pays, explique Smirtee Lama. Lorsqu’ils arrivaient au Qatar, ils signaient un contrat rédigé en qatari qui, très souvent, ne correspondait pas aux salaire et Per Diem prévus dans le contrat signé au Népal.» Malgré cette situation, impossible pour le travailleur de quitter le pays sans l’autorisation de son employeur ou de porter plainte, faute de syndicats et de droits syndicaux. «Avec l’aide du CSI, nous avons quand même constitué des groupes de soutien et organisé secrètement les travailleurs à partir de 2011» se réjouit la syndicaliste.

Le problème dans les compétitions sportives mondiales, c’est que personne ne se sent responsable des conditions de travail.

Arrêts de jeux

Au final, le bilan reste mitigé: si les conditions salariales et de travail de certains travailleurs migrants se sont nettement améliorées, les violations du droit du travail demeurent le quotidien de nombre d’entre eux: application incorrecte ou incomplète des nouvelles règles du travail, méconnaissance des migrants de leurs droits, refus des employeurs de se conformer aux lois, etc.

«Il n’y a, aujourd’hui, toujours pas de droits syndicaux au Qatar» conclut la syndicaliste de Gefont Népal. Les banques retiennent des salaires, l’employeur garde toujours le passeport… Il y a encore beaucoup de choses sur lesquelles il faut travailler».

Au Qatar, comme dans de nombreux pays dans le monde, il y a encore beaucoup à faire pour que «sport» ne rime plus avec «mort». Les organisations syndicales ont d’ailleurs demandé à la Fifa et au Comité olympique d’introduire une clause sociale dans le cahier des charges pour l’attribution de leurs prochaines manifestations sportives.


Sources: WSM, CSCBIE et Moc Liège.

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