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L'info n°0829/04/22

Des exosquelettes pour prévenir
les troubles musculosquelettiques
chez Takeda

Takeda est une société biopharmaceutique japonaise implantée aux quatre coins du globe. Récemment, des exosquelettes ont été mis à disposition de certains travailleurs du site de Takeda Lessines. Ceux-ci sont soumis à des gestes répétitifs qui ont entraîné la croissance des absences pour cause de troubles musculosquelettiques (TMS). Delphine Delhaye et Concetta Territo, toutes deux membres de l’équipe syndicale CSCBIE, nous ont accordé une interview afin de nous expliquer l’impact de l’arrivée des exosquelettes dans leur entreprise.

Propos recueillis par Laurent Lorthioir

La CSCBIE (Bâtiment - Industrie & Énergie) est très présente chez Takeda Lessines. Elle occupe actuellement tous les mandats dans les différents organes de concertation, à une exception prêt en délégation syndicale. “Cela montre le travail de qualité réalisé par notre équipe syndicale ici et la confiance que lui témoignent les travailleurs au quotidien pour la défense de leurs droits et l’amélioration de leur bien-être au travail”, relève Mathieu Diku, permanent CSCBIE.

Certains travailleurs de Takeda font face à d’importants TMS, pourriez-vous en expliquer les causes?

Avant 2015, tous les ouvriers de production étaient polyvalents: nous étions tous à la fois “opérateurs de production” et “mireurs”. Le roulement entre les deux fonctions se faisait par tranche horaire: on mirait pendant 30 minutes puis on allait en production pendant 30 minutes et cela durant toute notre pause de 8 heures. En 2014-2015, la direction a décidé de scinder les deux métiers. Les travailleurs ont dû choisir dans laquelle des deux fonctions ils souhaitaient se spécialiser. Aujourd’hui donc, vous êtes opérateurs ou mireurs pendant les 8 heures de votre pause. Et c’est cette deuxième fonction qui génère de graves TMS… 

En quoi consiste la fonction de mireur?

Le mirage consiste à s’assurer que les flacons (dont la contenance varie entre 10 ml et 300 ml) de médicaments produits sur le site soient purs: on observe à l’œil nu si le flacon contient ou non des particules pouvant altérer la qualité du médicament. Les mireurs doivent suivre toutes une procédure pour s’assurer que le produit soit bien pur, mais aussi que le flacon n’ait pas de défaut. Pour cela, ils disposent en moyenne de 14 secondes par flacon. Le mirage se fait par tranche de 30 minutes puis, pendant cinq minutes, ils effectuent d’autres tâches logistiques en dehors de leur cabine, afin de reposer leur yeux. Ce poste exige une grande concentration et une formation très pointilleuse. C’est une tâche complexe car ils doivent être capables, à l’œil nu, d’estimer la taille des particules dans le flacon afin de vérifier s’il y a un danger ou non. C’est une fonction très éreintante! Il faut bien se rendre compte que pour mirer correctement un flacon, il faut le soulever à deux mains à hauteur des yeux. Vous avez donc constamment les bras levés et vous effectuez des gestes répétitifs.

Pourquoi la direction a-t-elle choisi de supprimer le système polyvalent, qui évitait justement de mirer durant 8 heures?

C’était un projet de la direction: “spécialiser les métiers”. Cela permet de répondre aux critères d’exigence de qualité, mais aussi à la croissance de l’entreprise. L’accroissement des volumes de commandes a entraîné une augmentation du nombre de travailleurs. Dès lors, il devenait impossible de former tous les travailleurs au mirage. Il a donc fallu décider de n’en former qu’une partie, qui deviendrait donc spécialisée pour cette fonction.

C’est alors que les TMS se sont multipliés?

Exactement! Les mireurs ont commencé à faire état de douleurs dans la nuque, les épaules, les poignets, le dos… et le taux d’absentéisme a fortement augmenté. Rapidement, les représentants des travailleurs ont interpellé la direction au sein du CPPT. Nous avions suggéré de réorganiser le travail des mireurs afin d’éviter qu’un mireur se retrouve, suite aux hasards de production, à mirer plusieurs heures ou jours d’affilée des flacons de 300 ml. Mais la direction a argumenté que ce type d’adaptation n’est pas toujours possible car la production répond à certaines exigences de commandes ou de planning.


​Un exosquelette est un dispositif mécanique ou textile porté par le travailleur, qui lui apporte une assistance physique dans l’exécution d’une tâche.

La solution des exosquelettes est donc arrivée sur la table?

Il a fallu plusieurs années, mais en effet, la direction a fini par proposer cette solution qu’elle avait déjà pu observer dans d’autres entreprises. L’équipe syndicale n’y était pas opposée, mais nous avions déjà signalé à l’époque qu’il fallait aussi tenir compte de la réalité du terrain afin de s’assurer que l’utilisation d’un tel appareillage soit concrètement possible pour les mireurs. La direction a voulu faire les choses correctement: il y a eu une phase de test avec les travailleurs, des workshops ont été organisés avec des mireurs. Le projet a finalement abouti et les exosquelettes sont arrivés en 2020 dans l’entreprise.

Et donc aujourd’hui, grâce aux exosquelettes, il n’y a plus de TMS chez les mireurs de Takeda?

Hélas, le problème n’a pas disparu. Pour cela, il aurait fallu anticiper les problèmes que l’utilisation des exosquelettes allait engendrer au niveau de l’organisation du travail. En effet, le matériel fonctionne bien mais, en pratique, il est compliqué à utiliser. L’appareillage est volumineux: il est difficile de se mou- voir dans les cabines de mirage avec l’exosquelette. Il est également contraignant: il faut l’aide d’un, voire deux collègues, pour enfiler l’exosquelette et cela prend une dizaine de minutes. Or, le rythme de production est soutenu et strict. Le roulement “30 minutes de mirage et 5 minutes de logistique” est impossible à effectuer si l’on utilise un exosquelette vu le temps qu’il faut pour l’enlever et le remettre. Le même problème se présente pour les breaks qui durent maximum 30 minutes… Vous avez donc à peine le temps d’enlever et de remettre votre exosquelette que votre break est déjà fini. En résumé, les travailleurs trouvent que le matériel fonctionne bien et les soulage au niveau physique, surtout lorsqu’ils doivent mirer les plus gros flacons, mais dans les faits, les exosquelettes sont très peu utilisés pour les raisons que l’on vient d’évoquer et donc les TMS sont toujours bien présents chez les mireurs. Pour qu’ils puissent être utilisés, il est indispensable de réfléchir à une nouvelle organisation du travail qui puisse donner le temps aux mireurs d’enfiler et de retirer leur exosquelette.