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L'info n°1027/05/22

La crise énergétique requiert des mesures structurelles

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Les prix de l’énergie s’envolent. Des centaines de milliers de familles ne peuvent plus payer leurs factures d’énergie en hausse constante. En outre, le prix élevé de l’essence et du diesel pose de plus en plus problème à de nombreuses familles et en particulier à toutes les personnes qui utilisent leur voiture privée pour se rendre au travail. Le gouvernement fédéral a pris des mesures afin d’atténuer les effets de cette crise énergétique – dont la fin n’est pas pour demain. «Ces mesures sont toutefois insuffisantes», déclare le secrétaire national de la CSC, Mathieu Verjans, qui suit de près le dossier de l’énergie.

T. Vael & P. Van Looveren (adapt.D.Mo.)

Quelle politique énergétique la CSC souhaite-t-elle?

La CSC attend des solutions à court et à long terme. En mars, le gouvernement fédéral a décidé de l’avenir de la production énergétique belge mais ces décisions politiques sont insuffisantes. Il doit proposer d’autres politiques énergétiques structurellement, socialement et fiscalement justes. Nous n’attendons pas seulement des réformes qui stimulent la nécessaire transition climatique dans la production d’énergie, la mobilité, les ménages et l’industrie, mais aussi des investissements publics substantiels. A court terme – alors que de nombreuses personnes continuent à chauffer leur maison avec des combustibles fossiles et à rouler dans des voitures fonctionnant à l’essence ou au diesel – il faut réduire de toute urgence et de façon structurelle la facture énergétique et le prix à la pompe afin d’éviter des dérapages et des problèmes majeurs dans la sphère privée et professionnelle.

Parce que les gens ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts?

En effet. Non seulement les prix de l’énergie s’envolent, mais les prix d’autres produits de base explosent également. Il est urgent de prendre des mesures visant à accroître le pouvoir d’achat d’une très grande partie de la population. Le premier et le principal levier pour garantir un revenu disponible suffisant aux travailleurs est le droit à la libre négociation collective. Or, les modifications apportées en 2017 à la loi sur la norme salariale ont entravé cette liberté, en violation des normes internationales et européennes. Depuis, seules des augmentations salariales très limitées peuvent être négociées en plus de l’indexation. Par ailleurs, la maigre marge de ces négociations ne permet même pas de compenser la perte de revenu liée à la différence entre l’inflation et l’indice santé (lire L’Info n°4). Les travailleurs s’appauvrissent donc. Par conséquent, il faut modifier la loi sur la norme salariale et restaurer le droit fondamental des travailleurs à négocier.


Mathieu Verjans suit le dossier énergie pour la CSC.

Pendant la crise sanitaire, le tarif social de l’énergie a été étendu à un groupe plus large de bénéficiaires. Cette mesure est prolongée jusqu’au 30 septembre. Est-ce une bonne initiative?

Certainement, bien que cette mesure ne résolve pas le problème. Sa prolongation doit être maintenue, au moins jusqu’à ce que le marché se stabilise. La situation devient à ce point critique pour de nombreux ménages qu’un ancrage structurel du tarif social étendu semble être la seule possibilité de surmonter cette crise. Il faut également être plus attentifs aux 15% de bénéficiaires – selon les estimations – qui n’ont pas encore ouvert leur droit au tarif social. Dans l’intervalle, les prix de l’énergie, qui atteignent des sommets inédits, grignotent de mois en mois le revenu disponible d’un nombre croissant de personnes de la classe moyenne, qui ne peuvent pas recourir au tarif social et ont peu de réserves pour supporter elles-mêmes l’énorme augmentation des coûts énergétiques. C’est problématique parce qu’il ne faut pas s’attendre prochainement à une réduction fondamentale des taux du marché. Par ailleurs, les contrats fixes, qui vous permettent de savoir où vous en êtes financièrement, ne sont pratiquement plus proposés.

Une réduction de la TVA sur le gaz a été temporairement appliquée, en guise de mesure supplémentaire. Le taux passe de 21 à 6%, provisoirement jusqu’à fin septembre, conformément à la décision antérieure pour l’électricité. Etes-vous satisfait de cette mesure?

La CSC plaide en faveur d’une diminution des prix de l’énergie. Toutefois, réduire ces coûts au travers d’une baisse de la TVA n’est pas le meilleur instrument pour nous, surtout si l’on tient compte de l’impact structurel négatif sur l’index qui est précisément censé maintenir le pouvoir d’achat.

Au quotidien, le prix à la pompe a également beaucoup augmenté. Prend-on suffisamment de mesures à cet égard?

La réduction des droits d’accises sur l’essence et le diesel n’est qu’une mesure palliative. Elle est insuffisante pour compenser les coûts croissants que subissent les travailleurs qui ne disposent pas d’une voiture de société et d’une carte carburant. Plus de 65% des déplacements entre le domicile et le lieu de travail sont encore effectués en voiture. Les travailleurs dont le revenu est faible et qui dépendent de la voiture risquent de devoir renoncer à leur emploi parce qu’ils ne peuvent plus faire face à la hausse des prix du carburant. D’autres mesures s’imposent de toute urgence pour lutter contre l’augmentation de la précarité liée au transport et contre le fossé qui se creuse entre les travailleurs en termes de mobilité. L’indemnité kilométrique forfaitaire de 0,37 euro/km n’est plus suffisante, d’autant que les travailleurs ne peuvent pas tous en bénéficier. Il faut corriger cette intervention plus qu’une fois par an et les frais de carburant doivent peser plus lourd dans l’équation.

En raison de la flexibilité croissante – à laquelle nous devons mettre un terme sur le plan syndical – de nombreux travailleurs ne prestent plus selon des horaires fixes. Par conséquent, les transports publics et collectifs tels qu’ils existent aujourd’hui ne constituent souvent pas pour eux une alternative à la voiture trop coûteuse.

Les transports publics doivent donc être plus largement accessibles et gratuits pour tous lors des déplacements entre le domicile et le lieu de travail. La règle des “80/20” qui permet aux entreprises de ne prendre en charge que 80% de l’abonnement de train pour les déplacements “domicile-lieu de travail” de leurs travailleurs - doit être rendue obligatoire et généralisée à tous les moyens de transport public. 

Il faut également contraindre les employeurs à proposer un budget mobilité à leurs travailleurs qui ont droit à un véhicule de société. Il faut davantage inciter à utiliser le vélo pour se rendre au travail en instaurant légalement un droit à une indemnité vélo pour chaque travailleur. La combinaison du vélo et du train doit être gratuite pour tous les travailleurs. Il faut également multiplier et améliorer les possibilités de télétravail et rendre légalement contraignante une indemnité de télétravail, qui suit l’évolution des prix de l’énergie, de l’eau et des télécommunications.

Des mesures s’imposent de toute urgence pour lutter contre l’augmentation de la précarité liée au transport.

Des instruments importants dans le domaine de l’énergie, du logement et de la mobilité sont désormais aux mains des entités fédérées. Doivent-elles en faire plus?

Les Régions doivent davantage endosser le rôle de locomotive. La CSC appelle les pouvoirs publics régionaux à intensifier leur action. Il faut aller beaucoup plus loin pour réduire réellement notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles et rendre la transition énergétique socialement juste. Les Régions peuvent également atténuer la facture d’électricité en renonçant à une série de taxes. Les pompes à chaleur et les voitures électriques deviendront ainsi plus attractives structurellement. Il faut renforcer et mieux soutenir les objectifs en termes de rénovation. Nous devons accélérer la rénovation et la construction de logements sociaux à faible consommation d’énergie.

Faut-il appliquer des mesures aux fournisseurs d’énergie?

Il faut des règles contractuelles plus strictes pour éviter des chocs tarifaires excessifs. Nous pensons à une obligation d’acomptes réalistes, à des informations transparentes sur les améliorations possibles des contrats, à la promotion de contrats fixes préférentiels – ils sont actuellement inexistants – et enfin à la possibilité pour le consommateur de changer plus facilement de fournisseur.

Faudra-t-il également intervenir au niveau européen pour éviter de telles crises énergétiques à l’avenir?

Il est certain que même la décision de maintenir en activité les deux centrales nucléaires belges les plus récentes n’aura aucun impact sur la crise actuelle des prix.

Les centrales nucléaires ne supprimeront pas les pics de prix dans les mécanismes de marchés européens existants. En effet, le prix actuellement élevé du gaz fait grimper le prix de l’ensemble du marché européen de l’énergie. Des accords sont nécessaires au niveau européen pour atténuer la flambée des prix et garantir l’approvisionnement en énergie. Les Etats membres ne peuvent pas maîtriser la crise énergétique à eux seuls. 

Il faut utiliser les connaissances acquises pendant cette crise de manière réfléchie afin de réussir la nécessaire transition énergétique et de rendre les prix de l’énergie à nouveau accessibles.

Photos : © Shutterstock, Thomas Geuens, Jean-Luc Flemal/Belpress.com 


Le prix du litre d’essence 95 a dépassé les

2 euros le 17 mai dernier.