Le dossier

L'info n°424/02/23

Femmes: travail à temps partiel,

précarité à temps plein

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À l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars prochain, L’Info se penche sur les nombreuses inégalités qui subsistent encore pour les femmes dans le monde du travail. Focus sur la question du temps partiel féminin (in)volontaire.

David Morelli

Si le travail à temps partiel (TP) peut constituer un choix assumé et volontaire pour certaines femmes, le travail non désiré dans ce régime touche un nombre important de travailleuses. Les répercussions se font sentir en termes de salaire, mais aussi de salaires différés – comme la pension, le chômage ou les allocations de maladie et invalidité. Que ce soit dans le commerce ou encore dans les secteurs des services ou du nettoyage, de nombreux employeurs refusent en effet d’engager à temps plein, préférant jouer sur la flexibilité des TP. Pourtant, moins de 10% des femmes ne souhaitent pas travailler à temps plein (Statbel, 2021). Nombre de travailleurs et de travailleuses cherchent d’autres TP ou des boulots comme indépendant complémentaire pour pouvoir nouer les deux bouts (lire page 8).

Une réalité féminine

Deux études, dont nous regrouperons les constats pour plus de clarté, ont analysé, l’une quantitativement1 l’autre qualitativement2, le recours par les femmes au travail à temps partiel (in)volontaire, dans quatre secteurs. Dans ce dossier, c’est le secteur du nettoyage (hors titres-services) qui est examiné. Les résultats révèlent que la grande majorité des travailleuses décrivent des conditions pénibles (flexibilité abusive des horaires, charges physiques et mentales, cadences…) et des offres d’emploi exclusivement à TP.

Ces études font le constat3 que le travail à TP involontaire est surtout une réalité pour les femmes. Les réponses ont permis de déduire que «d’une part, elles préféreraient avoir un emploi à temps plein (ou en tout cas une semaine de travail plus longue) et, d’autre part, elles sont confrontées à des désagréments tant dans le cadre de leur travail que de leur vie privée en raison de la manière dont leur emploi à TP se présente en termes de temps et de charge de travail». La mobilité est également un facteur aggravant: le coût des trajets est plus impactant pour ces travailleuses.

Intensité et imprévisibilité

Travailler à temps partiel a souvent des conséquences négatives pour les travailleuses. Tout d’abord sur leurs revenus, plus faibles que ceux d’un temps plein. Mais aussi, dès lors, sur leurs droits en sécurité sociale (allocations de pensions, chômage, maladie), ou encore sur leur épargne et leurs possibilités de réorientation professionnelle. Selon ces études, c’est surtout le cas «pour les personnes vivant seules». Par ailleurs, le ressenti des répondantes en service depuis de nombreuses années est que «la tendance au travail à TP a également augmenté la charge de travail de manière significative. La réduction des heures de travail signifie qu’il faut travailler de manière plus intensive». De nombreuses travailleuses témoignent ne pas avoir assez de temps pour travailler convenablement. Enfin, le caractère imprévisible des horaires rend le travail difficile à combiner, non seulement avec un autre emploi, mais aussi avec une vie familiale ou sociale «normale».

Dilemme sanitaire

Quant à la question de la santé, elle semble constituer un dilemme pour ces travailleuses. En effet, le caractère physiquement lourd du métier provoque des blessures et des problèmes médicaux. Dès lors, les travailleuses, et principalement celles qui vivent seules, sont prises vers la fin de leur carrière «entre la nécessité d’un revenu décent et l’épuisement physique». Entre les besoins financiers et ceux du corps, le choix est pénible… À cet égard, la charge psycho-sociale est souvent sous-estimée, mais elle a des conséquences directes sur la santé mentale et physique.

De nombreux employeurs préfèrent jouer sur la flexibilité des temps partiels.


À la CSC Brabant wallon, un punching-ball permet à chacun de mesurer la force de sa colère face aux inégalités.

Volontaire… en apparence

Les conclusions de ces études posent différents constats. Ceux-ci permettent d’envisager dans quelle mesure le travail à temps partiel ou à temps plein représente réellement un libre choix pour les femmes.

Tout d’abord, il y a le constat que les femmes qui se retrouvent face à ce choix ont généralement un faible niveau d’instruction, ou sont revenues sur le marché du travail après une période d’absence. Dans ces conditions, «elles sont plus ou moins obligées de saisir toutes les opportunités qui se présentent, même si celles-ci prennent la forme d’un emploi à temps partiel».

Second constat: le rôle important de la situation familiale dans le degré de satisfaction des personnes par rapport à leur temps partiel, «et en particulier le fait qu’il y ait ou non un autre revenu que le leur». L’absence de sources de revenus, à l’instar de faibles qualifications, induisent par nécessité le choix d’un emploi à TP par de jeunes travailleuses, qui «ne se rendent souvent pas compte que ce choix les bloquera pour le reste de leur carrière, et qu’elles risquent de se retrouver dans une situation de travail et de vie précaire». En ce qui concerne le secteur du nettoyage, ce choix ne serait volontaire qu’en apparence: «avec leur profil et le contexte, elles entrent dans un segment du marché du travail où les options sont limitées».

L’étude se conclut par un appel aux entreprises: «[Elles] doivent comprendre que le fait de travailler avec du personnel à temps partiel ne les autorise pas à augmenter le rythme de travail et la flexibilité requise à un niveau qu’un travailleur à temps plein occupant une fonction similaire ne pourrait jamais atteindre. Comme point de repère, on peut partir du principe qu’il devrait toujours être possible pour un travailleur à TP de prendre un autre emploi complémentaire».

Rompre la spirale de la flexibilité

Dans les secteurs où la flexibilité est importante, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. La CSC rappelle que les modalités d’organisation du travail doivent être aussi bénéfiques pour les hommes et les femmes, et appelle à stopper cette spirale à la flexibilité. À l’occasion de son congrès de 2019, la CSC a voté une résolution prévoyant qu’un test de genre devrait pouvoir être réalisé pour chaque mesure: (introduction de) flexibilité, nouveaux modes de rémunération, déplacements domicile-travail… Ces tests permettront de mesurer s’il n’y a pas des impacts plus importants pour les femmes que pour les hommes.

1. Enquête sur le caractère (in)volontaire du temps partiel féminin, ULB, 2020.
2. Temps partiel (in)volontaire parmi les travailleuses de la vente, du nettoyage et des maisons de repos et de soins: étude qualitative, KU Leuven, 2021.
3. Sur base d’un échantillon relativement faible, ces résultats doivent être appréhendés plutôt comme des indicateurs de tendance.

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