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L'info n°424/02/23

plateformes

«On joue à la roulette russe en permanence»

Le décès d’un travailleur de plateforme replace sous une lumière cruelle les conditions de travail de ces travailleurs.

D. Mo.

Tous les jours, des livreurs et autres travailleurs de plateformes sont confrontés à des accidents de travail. Mais jamais il n’y avait eu d’accident mortel en Belgique… jusqu’à ce jeudi 2 février, où Sultan Zadran a été percuté par un bus à Bruxelles-Nord, alors qu’il livrait un repas. Camille, livreur et coordinateur du Collectif des coursiers, est, comme de nombreux autres livreurs, sous le choc… mais pas étonné. «On savait qu’un jour, cela allait arriver. Les politiques n’ont pas pris leurs responsabilités pour faire rentrer ces plateformes dans le droit commun. Nous travaillons pourtant en première ligne, et avons quinze fois plus de chances d’avoir un accident du travail que l’ensemble des autres métiers1. La fatigue lors de longues plages horaires, le manque de matériel de sécurité, de formation et d’infrastructures, font qu’on joue à la roulette russe en permanence. L’indignité va recouvrir les politiques et les entreprises. Ils sont responsables.»


Une organisation accidentogène


«Les autorités ont laissé certaines plateformes mettre en place un système scandaleux,
confirme Martin Willems, responsable national de United Freelancers (UF). Le travailleur étant prétendument “prestataire indépendant”, la plateforme n’a aucune obligation de mettre en place une politique de prévention et de sécurité, ou de fournir du matériel de sécurité. Le travailleur n’est pas couvert par l’assurance-loi accidents du travail». Pire, la manière dont le travail est organisé favorise les accidents. «Le système de notation par les restaurateurs et les clients pousse les livreurs à aller plus vite, constate Camille. En cas de mauvaises appréciations, et peu importe les problèmes mécaniques, la météo ou les embouteillages, il y a le risque de licenciements sauvages. Il faut arrêter cette notation: c’est l’équivalent des carnets ouvriers du XIXe siècle.»

Nous avons 15 fois plus de chances d’avoir un accident du travail que les autres métiers.

Mépris des travailleurs

Le gouvernement a pourtant mis en place une loi sur l’économie de plateforme, mais, pour le responsable United Freelancers, celle-ci est totalement inefficace. «Pour le volet “accidents du travail”, la loi vise à mieux protéger les travailleurs sous statut indépendant, alors que 90% des livreurs sont en régime P2P ou économie collaborative. Et la publication de l’Arrêté Royal traîne…». Par ailleurs, depuis le 1er janvier, une présomption d’emploi existe pour les travailleurs des plateformes réunissant certains critères. «Si cette loi était appliquée, le livreur de repas accidenté aurait été dans un autre statut, et ses conditions de travail totalement différentes. Mais rien n’a changé depuis l’entrée en vigueur de cette loi. Et les plateformes visées estiment ne pas être concernées!». Ce constat est confirmé par Camille: «nous avons fait une action devant le hub d’Uber pour qu’ils nous reçoivent afin de mettre en place un dispositif de discussions pour offrir une juste compensation à la famille de Sultan. Ils ont refusé de nous ouvrir et ont appelé la police, comme au XIXe siècle…».

«Notre gouvernement doit maintenant choisir s’il continue à tolérer l’inacceptable, conclut Martin Willems. Ces plateformes se moquent de lui, de nous tous, et précarisent les travailleurs… jusqu’à l’accident fatal.»

1. Source: coopérative Smart.
© La CSC