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L'info n°1920/10/2023

L'économie doit-elle prévaloir sur le climat et l’environnement?

En mai dernier – et alors que tous les signaux sont au rouge et que les catastrophes climatiques et environnementales se succèdent à un rythme effréné - Alexander De Croo, notre Premier ministre, proposait de faire une «pause environnementale», estimant qu’il ne faut pas ajouter aux objectifs de réduction de CO2 de nouvelles normes environnementales pour sauvegarder ce qu’il reste de la nature et de la biodiversité. Et ce afin d’éviter que les industries et les investisseurs quittent l’Europe pour les USA ou d’autres pays où les législations sont moins ambitieuses. Qu’en pensent les experts de la CSC? Nous leur avons posé la question: l’économie doit-elle prévaloir sur le climat et l’environnement?

«La transition climatique est pourvoyeuse d’emplois»

La réponse est clairement non. Depuis des décennies, on sait que l’économie et le climat peuvent aller de pair et qu’en réalité, c’est plus rentable d’investir dans la transition climatique que d’attendre que les dégâts arrivent et de payer par la suite leur réparation.


François Sana, conseiller en développement durable au service d’étude de la CSC 

En 2006, Nicholas Stern, ex-économiste en chef et ex-vice-président de la Banque mondiale, a publié un rapport retentissant sur l’impact économique du réchauffement climatique. Il expliquait que si on investissait 1% du PIB chaque année dans la transition climatique et environnementale, on économiserait jusqu’à 20% du PIB pour payer les dégâts dans le futur.

D’un point de vue écologique, on ne compte plus le nombre d’études qui montrent que la transition écologique est créatrice nette d’emplois. Il y a des métiers et des secteurs qui à terme vont disparaître, tels que tous ceux liés à l’énergie fossile. Mais de nouveaux jobs vont se créer et certains vont être modifiés. En permanence, l’économie crée et détruit des jobs. La question qu’on se pose en tant que syndicalistes est plutôt quels jobs on crée et que fait-on des travailleurs dont l’emploi est menacé?

Dans le discours sur la transition juste, on accepte qu’il faille investir dans la transition climatique en vue d’atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. Mais il faut former les travailleurs des industries polluantes aux nouvelles technologies qui permettent de produire sans émettre de CO2.

Il faut donc arrêter d’opposer économie et climat/environnement. La transition climatique est pourvoyeuse d’emplois. Et les premiers qui s’y engageront seront les grands gagnants. Nous demandons comme CSC qu’un maximum de filières de production durable se développent en Belgique, dans les éoliennes, les panneaux photovoltaïques ou les batteries de voitures électriques par exemple.

«C’est à l’État de fixer les règles du jeu et un cap»

L’État doit reprendre du pouvoir sur les entreprises. Celles-ci se doivent de suivre les règles décidées par le législateur et de s’adapter pour arriver aux objectifs fixés par l’État.


Thomas Greuse, conseiller en économie au service d’études de la CSC  

Normalement, d’un point de vue économique, c’est l’État avec un grand E qui est au centre du jeu et qui fixe les règles du développement économique et les lignes de conduite du marché. L’État peut donc très bien imposer aux acteurs industriels des contraintes écologiques, de réduction des émissions de carbone et des polluants. C’est à lui de définir les objectifs vers lequel la société doit tendre: un objectif vers une transition juste et une économie sans émission nette de CO2.

Ça peut très bien se faire au niveau européen. Si on prend la situation de concurrence internationale, le fait d’avancer tout seul peut être pénalisant pour les entreprises européennes par rapport aux autres grands marchés tels que l’Asie ou les États-Unis. Mais il y a une autre caractéristique à prendre en compte: c’est la réglementation qu’un État peut imposer à ses partenaires commerciaux.

L’Europe est un des premiers marchés en termes de nombre de consommateurs et de développement économique. Si elle s’assume en tant qu’entité politique, elle a la capacité d’imposer ses normes environnementales à ses partenaires commerciaux, notamment via ses législations environnementales, ce qui veut dire faire prévaloir le climat et l’environnement sur l’économie.

La question est de savoir si finalement l’Union européenne s’assume assez fort et n’est pas totalement perméable au lobby. Certains lobbies déploient des moyens conséquents pour éviter ou ralentir le développement d’une économie bas carbone, parce que cette transition implique des coûts énormes à court terme. Mais c’est finalement aussi à l’État d’accompagner les secteurs pour éviter d’avoir une transition trop violente et d’éviter un rejet d’une partie de la population face à ce changement de société.

Les investisseurs préfèrent avoir une vision et savoir où on va plutôt que de dire on va faire des pauses et puis on va reprendre. Ça crée de l’incertitude, ce que le monde économique n’aime pas. Avoir un objectif donne de la certitude.

La neutralité carbone en 2050, avec des objectifs intermédiaires de réduction des émissions de CO2 de 40% à 55% en 2030 pour les membres de l’UE, fixe un cap à l’industrie. En même temps, l’État doit aussi se donner les moyens de réaliser ses objectifs et choisir les bons outils et instruments pour y arriver et évaluer leur efficacité.

Donc, une fois qu’on a décidé d’une mesure et d’outils pour la réaliser, par exemple l’isolation thermique des bâtiments et le prêt à taux zéro, il faut évaluer que les outils qu’on a utilisés sont les plus efficaces pour atteindre l’objectif fixé d’améliorer le PEB des bâtiments.

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