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L'info n°0224/01/2025

Reconnaissance des maladies

professionnelles: biais de genre?

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«Le travail, c’est la santé»
, chantait Henri Salvador. Mais pour certains travailleurs, le travail peut aussi être la cause de souffrances et de maladies professionnelles. La démarche pour faire reconnaître une pathologie qui ne se trouve pas dans la liste des maladies professionnelles est longue. Et son issue est incertaine, particulièrement pour les femmes.

David Morelli

Une maladie professionnelle est une maladie causée de façon directe et déterminante par l’exercice d’une profession. En Belgique, deux systèmes de reconnaissance des maladies professionnelles existent: le système «liste» et le système «ouvert». Pour qu’une maladie soit considérée comme reconnue comme maladie professionnelle, elle doit être reprise dans la liste, déterminée et régulièrement mise à jour par Fedris, l’Agence fédérale des risques professionnels.

Par exemple, les travailleurs du bois ont un cluster de développement d’un cancer naso-sinusien beaucoup plus important que la population générale parce qu’ils sont exposés à la poussière de bois. Ce cancer, tout comme plus de 150 autres maladies, se trouve dans cette liste. Un travailleur ayant été exposé à un risque professionnel provoquant une des maladies reprises dans cette liste ne devrait pas avoir de difficulté à faire reconnaître sa maladie.

Un système «ouvert» sinueux

Une maladie qui ne se trouve pas sur cette liste peut également être reconnue par Fedris comme étant une maladie professionnelle. Chaque année, l’agence reçoit quelque 10.000 demandes de reconnaissance en maladie professionnelle. Mais à la différence du système «liste», c’est un parcours beaucoup plus difficile et incertain qui attend le travailleur qui souhaite faire reconnaître sa maladie dans le système «ouvert». Il lui revient en effet de prouver que sa maladie a été provoquée, de manière directe et déterminante, par son environnement professionnel. Pour les personnes atteintes, par exemple, d’un cancer, c’est un pari hasardeux: en effet, la plupart des cancers ne figurent pas sur cette liste. C’est le cas notamment du cancer du sein, dont de nombreuses études tendent pourtant à pointer les conditions de travail comme un facteur déterminant à son apparition dans certains secteurs et professions. Le travailleur doit donc prouver le lien de cause à effet entre sa maladie et l’exposition à des substances nocives pendant le travail. Or, outre le fait que ces substances ne peuvent pas toujours toutes être retracées, il faut aussi parfois des années avant que les travailleurs tombent malades, ce qui rend la charge de la preuve encore plus difficile. Et quid si, par exemple, le travailleur était fumeur? Au final, la demande de reconnaissance s’achève dans plus de 60% des cas par un refus.

Un système discriminant?

À l’occasion d’une journée consacrée à la santé des femmes organisée par le groupe Femmes CSC, Laurent Vogel, chercheur en santé au travail à l’Institut syndical européen (Etui), a envisagé les deux systèmes dans une perspective de genre, et ses conclusions sont pour le moins critiques en matière d’égalité femme-homme. «La liste des maladies professionnelles telle qu’elle est appliquée par Fedris correspond pour l’essentiel à des professions industrielles d’il y a au moins une vingtaine d’années, explique-t-il. Par ailleurs, parfois, les critères sont discriminatoires vis-à-vis des femmes, par exemple en ce qui concerne les affections dorso-lombaires. Dans la pratique, si l’affection n’est pas provoquée par des facteurs mécaniques, comme le fait de travailler sur un camion qui n’a pas une bonne suspension ou de travailler avec des outils pour forer, elle n’est pas reconnue. Dès lors, l’infirmière qui soulève des patients des dizaines de fois par jour n’a aucune possibilité d’être reconnue sur base de la liste.» 
Concernant les demandes de reconnaissances dans le cadre de la
«liste ouverte», l’avis du chercheur est tout aussi critique. «Il y a aussi une discrimination marquée vis-à-vis des femmes», constate-t-il après avoir analysé les données de Fedris concernant des demandes d’indemnisation issues, grosso modo, de 50% d’hommes et 50% de femmes. «Parmi les nouveaux cas d’incapacité permanente qui ont été reconnus par Fedris, seules 15% de femmes sont finalement reconnues pour 85% d’hommes», détaille le chercheur. 

Une des clés pour comprendre cette situation est que les femmes dépendraient beaucoup plus que des hommes du système ouvert. «Les cas qui passent par le système ouvert sont pratiquement tous rejetés. C’est particulièrement préoccupant parce que la majorité des cas de cancers professionnels doivent aujourd’hui passer par ce système», analyse Laurent Vogel.

C’est face notamment à ce déséquilibre de la parité des genres que les partenaires sociaux ont demandé d’organiser une groupe de travail au sein de Fedris, pour se pencher sur les défis des maladies professionnelles. Mais ces réflexions sont très longues.

60%

des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle se soldent par un refus.

La force du collectif

Les recours judiciaires sont possibles, mais un nombre important de travailleurs déboutés ne se lancent pas dans cette procédure, intimidés par sa probable (très) longue durée. Pourtant, en 2022, les tribunaux du travail ont donné raison aux assurés sociaux dans plus d’un cas sur deux1. Plutôt qu’une approche réactive et individuelle, des initiatives pourraient être prises en amont pour mettre en avant l’aspect collectif et récurrent de certaines pathologies dans certains secteurs. C’est l’approche choisie par Marina Künzi, responsable syndicale CSC Alimentation et Services, pour faire reconnaître les troubles musculosquelettiques (TMS) dont sont singulièrement atteintes les travailleuses du secteur des titres-services. «C’est un métier qui rend les travailleuses malades et c’est extrêmement difficile pour elles de faire reconnaitre leurs TMS comme maladie professionnelle. Elles doivent apporter des preuves sur l’exposition aux risques, souvent sur l’ensemble de leur carrière. La réponse de Fedris est que rien ne prouve que les TMS sont causés par le travail plutôt que par le fait de nettoyer chez elles. Pour nous, c’est une aberration. On est en train de rassembler des centaines de dossiers pour tenter d’obtenir une reconnaissance collective de ce problème», détaille Marina Künzi.

C’est dans une approche collective que cette inégalité pourrait être enfin rééquilibrée. Et, comme il vaut mieux prévenir que guérir, la question des maladies professionnelles pose parallèlement celle de la prévention. Une prévention qui passe, entre autres, par des expositions moindres à des substances nocives pour la santé des travailleurs – ou à leur replacement lorsque c’est techniquement possible – et par des conditions de travail plus soucieuses de la santé à long terme des travailleurs. Dans cette perspective, cette prévention devrait dès lors être envisagée de manière genrée.


1 Source: RTBF