Le dossier

L'info n°1426/08/22

Loi sur le bien-être: du travail bien fait, mais incomplet

La loi du 4 août 1996, relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, fêtait l’année dernière ses 25 ans. Cette loi a consacré une réforme et une amélioration radicales de la législation en matière de sécurité et de santé au travail. L’utilisation d’analyses des risques a été un des éléments-clés de la réforme, de nouveaux risques ont été admis et reconnus. S’il convient de se réjouir de ces avancées, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Stijn Gryp & Kris Van Eyck

La loi sur le bien-être n’est pas le fruit du hasard. Jusqu’en 1996, les textes de lois en vigueur reprenaient toutes les dispositions que les entreprises devaient respecter pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs. Ces règles n’étaient pas toujours adaptées à toutes les situations. Dans les années 1990, plusieurs directives européennes ont été adoptées. Elles s’inspiraient d’une approche différente: sur la base d’une analyse des risques, les entreprises doivent déterminer elles-mêmes comment éliminer les risques. Et ce, toujours dans le cadre d’un ensemble de dispositions légales et selon une stratégie de prévention claire: éviter les risques et les combattre à la source, en optant de préférence pour des mesures de protection collectives, adapter le travail à l’être humain, prévoir des instructions et des formations, etc. Cela a été l’occasion d’une refonte radicale de notre législation. La loi sur le bien-être et le code sur le bien-être au travail, qui rassemble les arrêtés d’exécution de la loi, ont constitué le nouveau cadre légal. Le plan global de prévention et le plan d’action annuel en découlent. La loi sur le bien-être et le code régissent par ailleurs l’élection, le fonctionnement et les compétences du CPPT.

Du responsable de la sécurité au conseiller en prévention

La réglementation sur le bien-être a évolué: on s’est rendu compte qu’une approche adéquate des risques, parfois complexes, nécessite l’intervention d’experts issus de différentes disciplines. Outre les experts «sécurité du travail» et «médecine du travail», des experts dûment formés ont été désignés pour les domaines «ergonomie», «risques psychosociaux» et «hygiène industrielle». Ainsi, des conseillers en prévention ont été nommés pour cinq disciplines auxquelles les entreprises peuvent (ou, parfois, doivent) faire appel par le biais de leurs services internes ou externes de prévention et de protection au travail. Cette multidisciplinarité est un des acquis importants de la loi sur le bien-être.

Le bien-être psychosocial

L’introduction de la notion de «bien-être au travail» a permis d’envisager de façon plus globale les problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés au quotidien. La sécurité, la santé, l’ergonomie, les risques psychosociaux, l’hygiène industrielle, l’embellissement et l’environnement sont les sept domaines sur lesquels il faut travailler. L’un de ceux-ci, les risques psychosociaux, est devenu un nouveau point d’attention majeur. Dans ce cadre, il est question du stress, du burn-out, mais aussi de la violence et du harcèlement moral et sexuel. Tous ces éléments peuvent lourdement impacter le bien-être des travailleurs, tant sur leur lieu de travail que dans leur vie privée. La loi sur le bien-être et le code sur le bien-être au travail consacrent pour la première fois toute une série d’obligations destinées à combattre ces risques dans l’entreprise, tant individuellement que collectivement. Les victimes de violences et de harcèlement moral et sexuel sont désormais aussi protégées contre le licenciement lorsqu’elles entament une procédure pour dénoncer ces faits.

Pas encore au bout de nos peines

Depuis 1996, la loi sur le bien-être n’a, bien entendu, pas résolu tous les problèmes:

  • Le nombre d’accidents du travail enregistrés au cours du dernier quart de siècle n’a cessé de diminuer. Malheureusement, ce n’est pas le cas des accidents graves du travail.
  • Fin 2020, on dénombrait quasiment 471.000 travailleurs malades ou invalides de longue durée (= en incapacité de travail depuis plus de 12 mois), soit une progression de plus de 20% depuis 2016.
  • Parmi ces malades de longue durée, 170.000 (36%) souffraient de troubles psychologiques. Il s’agit de la principale cause d’invalidité en Belgique. 33.402 malades de longue durée étaient en burn-out depuis au moins un an (+33% depuis 2016).
  • Les troubles musculosquelettiques sont la deuxième cause la plus fréquente de maladies de longue durée (150.000).
  • On estime qu’entre 2.600 et 5.500 nouveaux cas de travailleurs victimes d’un cancer professionnel sont détectés chaque année. Moins de 200 de ces cancers professionnels sont reconnus et indemnisés comme des maladies professionnelles.
  • Les travailleurs soumis à un travail flexible et précaire sont le plus souvent victimes de conditions de travail dangereuses et préjudiciables à la santé. Les travailleurs intérimaires, par exemple, sont deux fois plus souvent victimes d’un accident du travail que les travailleurs sous contrat ordinaire. Mais ce groupe est en un sens privilégié, puisque nous disposons de bonnes statistiques à son propos. Par contre, nous ignorons totalement quelles sont les conséquences négatives des conditions de travail imposées à d’autres groupes, tels que les travailleurs des plateformes, les (faux) indépendants, les travailleurs étrangers, etc. Parfois, ils ne sont pas protégés du tout et n’ont pas accès aux assurances requises pour les indemniser en cas d’accident ou de maladie.


170.000 malades de longue durée souffrent de troubles psychologiques

Confiance mais aussi contrôle

Quelle que soit la qualité de la législation, son application dans l’entreprise constitue la clé du succès. Or, c’est souvent là que le bât blesse. Les contrôles et les amendes pourraient constituer une solution, mais ils requièrent un nombre suffisant d’inspecteurs du travail et un bon mécanisme de sanction. Aujourd’hui, ni l’un ni l’autre ne sont satisfaisants. Malgré les promesses du monde politique, l’inspection du bien-être ne dispose actuellement que de 77 inspecteurs équivalents temps plein pour contrôler réellement le lieu de travail, soit un inspecteur pour 52.252 employés et pour 3.825 sites d’entreprise. La CSC a calculé que, malgré tout le bon travail qu’ils accomplissent, ces inspecteurs ne pourront visiter en moyenne le même site d’entreprise qu’une fois tous les 43 ans. Et les inspecteurs constatent des violations de la réglementation sur le bien-être lors d’au moins la moitié de leurs visites.


Les troubles musculo-squelettiques sont la deuxième cause des maladies de longue durée.

© Shutterstock