Jeroen Lievens, collaborateur chez Femma.
À l’occasion d’un webinaire consacré à la réduction collective du temps de travail, l’association Femma a présenté l’expérience qu’elle a menée.
David Morelli
Femma est une organisation socioculturelle pour les femmes, active en Flandre et à Bruxelles. En 2019, elle a expérimenté, durant un an, une réduction du temps de travail (RTT) collective avec une semaine de 30h.
“Nous plaidons pour une RTT, explique Jeroen Lievens, collaborateur chez Femma. Nous voulons une société dans laquelle tout le monde trouve un équilibre entre le travail, les soins et le temps libre. La semaine de travail plus courte est une des stratégies possibles.”
Aujourd’hui, le modèle dominant est celui de ménages avec deux salaires, dans lesquels les femmes et les hommes sont censés travailler à temps plein. “Au niveau de la famille, nous consacrons plus de temps au travail rémunéré qu’il y a 50 ans. Combiner le travail à temps plein, les soins et le temps libre devient plus difficile. Cela aboutit à des inégalités en matière de soins non rémunérés, de temps libre et d’accès à un travail de qualité entre hommes et femmes et aussi entre ceux qui peuvent se permettre plus de temps libre et ceux qui ne le peuvent pas. La pression accrue au travail et pendant le temps libre est encore plus forte pour les personnes isolées qui n’ont personne pour les aider. Avec cette RTT collective, nous voulons remettre en cause ce temps plein – ce qui est encore un vrai tabou.”
Plusieurs approches existent pour envisager une RTT: une semaine à 32 ou 30 heures, une semaine de quatre jours ou des journées de travail moins longues. Ces approches dépendent des pratiques qui sont déjà mises en place dans le secteur concerné. Pour Femma, la stratégie d’une semaine de travail plus courte était le modèle idéal, permettant aux travailleurs et aux travailleuses d’avoir plus de temps pour eux-mêmes.
“En 2019, après beaucoup de discussions avec la direction et les travailleurs, nous avons tenté ce projet pilote de RTT collectif. Nous sommes passés de 36 à 30 heures par semaine, avec maintien de salaire.” Un des défis a été de réorganiser le travail pour compenser les heures perdues. “Pour réduire les heures de travail, il est important de réfléchir à la manière dont les heures ‘libérées’ seront occupées. Cette responsabilité ne doit pas uniquement être portée par le personnel en exigeant qu’il devienne plus productif. L’organisation doit avoir le courage d’adapter son organisation du travail, voire d’engager du personnel supplémentaire ou d’externaliser des tâches pour ne pas augmenter la pression du travail.”
Les travailleurs à temps partiel, travaillant moins de 28 heures et qui n’ont pas réduit leurs heures, ont reçu un salaire plus élevé en compensation. Les travailleurs à temps partiel travaillant plus de 28 heures ont eu la possibilité de passer au nouveau régime à temps plein. La concertation sociale a mené à une nouvelle CCT qui a prévu l’introduction de jours de congés supplémentaires sur une base hebdomadaire.
Les travailleurs ayant participé au projet pilote de RTT collective disent pouvoir allouer plus de temps aux enfants.
“Nous avons constaté une diminution effective du temps de travail de 4h55 par semaine ainsi qu’une réduction du temps alloué aux déplacements entre domicile et lieu de travail. La satisfaction des travailleurs a augmenté immédiatement. Dans une enquête sur la nouvelle organisation du travail, ils disent profiter davantage de leur temps libre. Ils peuvent réaliser certaines tâches domestiques, allouer plus de temps aux enfants et faire moins de choses en même temps. Leur stress diminue. La qualité du temps libre est améliorée.”
Au niveau de la qualité du travail, l’évolution est également perçue positivement: 90% des travailleurs ont émis des retours positifs. Une baisse des absences de courte durée est également constatée. Femma a néanmoins aussi été confrontée à des défis durant l’expérience. “À un moment, la nouvelle organisation du travail s’est avérée mal adaptée à l’une des équipes. Cela a entraîné une baisse de la satisfaction au travail dans cette équipe. Nous avons abordé cette question au cours de l’expérience.”
Ce type d’expérience peut être également intéressante dans d’autres secteurs et organisations, en tenant compte de leurs préoccupations et opportunités spécifiques.
“Nous recommandons aux autorités de tirer des leçons des différentes expériences de RTT. Cela permettrait d’élargir le débat en Belgique et d’envisager de revoir notre façon de travailler. Nous pensons que les entreprises qui décident de faire cette transition devraient être soutenues pour passer le cap”, conclut Jeroen Lievens.
Suite aux négociations entre les travailleurs et les employeurs, Femma, qui a financé elle-même la mise en place du nouveau régime, a décidé de faire la transition permanente à une semaine de 32h.
90%
des travailleurs ont émis des retours positifs.
Plus d’infos: www.eigenmix.be (en néerlandais)
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