La décarbonation de l’industrie du ciment constitue un défi délicat à réussir.
D.Mo
L’industrie du ciment est la première émettrice de CO2 en Wallonie. En effet, la production de ciment libère des quantités substantielles de gaz à effet de serre (GES), leur production étant inhérente à la transformation chimique du calcaire en clinker. Dans ce contexte, les enjeux de la décarbonation sont immenses pour les travailleurs et les industries cimentières.
La transition de la production conventionnelle de ciment vers des alternatives à faible teneur en carbone exige donc des solutions innovantes. «Du côté des cimentiers, on tente de décarboner au maximum dans les «5 C» (carrières, clinker, ciment, concrete (béton), et construction), explique Luc Norga, économiste à la CSC bâtiment – industrie & énergie (CSCBIE). L’augmentation de la part des combustibles alternatifs et l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les fours a constitué la première politique en la matière en Wallonie. On brûle des déchets, jusqu’à 70% dans certains fours. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant? Sans doute parce que l’investissement n’était pas assez rentable. Maintenant, avec les prix de l’énergie qui s’envolent, certains investissements deviennent rentables, mais peuvent toutefois être très lourds.»
La diminution du taux de clinker du ciment, ou encore le développement de techniques de capture, de stockage et de réutilisation du carbone constituent également des leviers utilisables pour diminuer les émissions de GES.
L’avenir se joue donc sans doute également dans la production d’autres ciments, avec des produits à plus haute valeur ajoutée, par exemple.
Pour Luc Norga, un important travail est à faire au niveau politique en matière d’innovation et de normes. Aujourd’hui, il existe déjà des ciments et des bétons «bas carbone». Toutefois, ceux-ci doivent faire l’objet de normes et de standards, mais également être utilisés – voire privilégiés – par les clients et maîtres d’ouvrage. Au-delà des initiatives du secteur, la décarbonation a également une dimension multisectorielle. En effet, ses progrès dépendent aussi des utilisateurs de ses produits, comme le secteur de la construction ou les architectes. Une coordination des secteurs serait souhaitable pour appréhender l’avenir. Les autorités politiques ont également un rôle à jouer dans le cadre de marchés publics. Et sur ce terrain, les choses avancent: «avec la mise en place, dans certains marchés publics de l’échelle de performance1 CO2, des ciments et bétons faibles en carbone sont davantage susceptibles d’être utilisés», précise Luc Norga.
Si l’on souhaite aboutir à une décarbonation de manière juste pour les travailleurs, tous ces changements doivent être anticipés, par exemple sous forme de feuilles de routes sectorielles, en prévision de 2050. «En Wallonie, quelques cimenteries ont déjà été fermées ces dernières décennies: Haccourt, Harmignies… Il en reste quatre aujourd’hui», rappelle Luc Norga. Les enjeux syndicaux dans ce secteur sont nombreux: en matière d’emploi, bien sûr, mais aussi de rémunération, de formation et de compétences. «En plus de la transition bas carbone, la transition numérique et le recours accru à la sous-traitance font pression sur l’emploi. Mais tant au niveau de l’emploi que de la formation, ni les employeurs, ni la Région ne semblent anticiper. Sans une prise en compte concrète, l’emploi et les conditions de travail risquent de devenir une variable d’ajustement», conclut-il. C’est aussi pourquoi, lors des dernières négociations du secteur, et à l’initiative des syndicats, les interlocuteurs sociaux du secteur cimentier ont voulu créer un Conseil sectoriel pour la transition juste. Celui-ci sera mis en place début 2024.
1. Au plus une entreprise s’engage à prendre des mesures ambitieuses afin de réduire ses émissions de CO2, au plus elle obtient un score important sur cette échelle, ce qui lui concède un avantage lorsqu’elle remet une offre pour un marché public.
3 sociétés cimentières en Belgique: CBR (Heidelberg Materials), Holcim Belgique (Holcim) et CCB (Cementir).
5 sites de production: 4 en Wallonie (Lixhe, Antoing, Obourg et Gaurain-Ramecroix) et 1 en Flandre (Gand).
923 travailleurs
656 millions d’euros de chiffre d’affaires
49,6 millions d’euros d’investissements
10.000 emplois indirects (secteurs des granulats et du béton prêt à l’emploi et préfabriqué)
100 tonnes de calcaire traitées à haute température libèrent
44 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, auxquelles s’ajoute le combustible pour chauffer les fours.
Source: Febelcem, 2022.
Pour fabriquer du ciment, un mélange de 80% de calcaire et de 20% d'argile est broyé avant d'être cuit dans un four à 1.450°C. Du CO2 est émis par la réaction chimique du calcaire chauffé mais aussi par les combustibles brulés pour porter la flamme. Cette cuisson explique la forte consommation énergétique de ce processus et génère l'essentiel des émissions d'une cimenterie: 1/3 des émissions sont dues à la consommation énergétique et 2/3 à la réaction chimique de calcination transformant le calcaire en chaux et en CO. Le clinker issu de cette cuisson est ensuite broyé avec divers produits additifs pour produire le ciment qui sera utilisé pour former du béton.