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L'info n°622/03/2024

Industries wallonnes:

le défi de la décarbonation

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Comment assurer une transition juste tout en répondant aux enjeux industriels liés à la décarbonation? Si des leviers existent, des feuilles de route et de la concertation sociale sont aussi nécessaires.

David Morelli

La Wallonie, comme beaucoup d’autres régions, est confrontée au double défi de maintenir et de développer ses infrastructures industrielles tout en réduisant les émissions de carbone pour lutter contre le changement climatique. La déclaration de politique régionale 2019-2024 l’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% en 2030 par rapport à 1990, et à la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ces objectifs exigent une reconversion profonde des secteurs les plus polluants de l’industrie dans ces délais serrés, imposés par l’urgence climatique. Une part importante des efforts de décarbonation à mener pèse sur l’industrie lourde. En effet, la sidérurgie, la pétrochimie et la production cimentière sont responsables de près de 18% des émissions en Belgique, soit à peine moins que le transport (20%).

«À la fois colonne vertébrale et secteur à part entière, l’enjeu de l’industrie est double, analyse Eric Bergé, du groupe de réflexion «The Shift Project», invité par la CSC wallonne à l’occasion d’une matinée d’étude sur la décarbonation. Elle doit permettre aux autres secteurs de se transformer, en produisant les biens et infrastructures dont ils ont besoin pour décarboner leurs activités, tout en assurant que cette production devienne elle-même décarbonée, et presque totalement indépendante des matériaux fossiles».

Trois leviers

Pour y parvenir, «The Shift Project» met en lumière les trois types de leviers qui, en se combinant, permettront d’avancer vers la neutralité carbone. D’une part, la notion de progrès continu (améliorer l’efficacité énergétique, maximiser l’usage de combustibles alternatifs aux combustibles fossiles, le recyclage mécanique…), ensuite, la rupture technologique (recours à l’hydrogène produit par électrolyse, à la capture et au stockage du carbone, recyclage chimique, etc.), et enfin, la sobriété (sur les emballages plastiques, les constructions neuves…). «Mais, ajoute Eric Bergé, les risques d’échec sont bien plus forts sur les leviers technologiques de rupture que sur les leviers de progrès continu. Il doit donc être envisagé de recourir à une sobriété plus intense si leur déploiement échoue dans les années à venir».

Nombre de solutions technologiques étant elles-mêmes très consommatrices en énergie, la question du conflit d’usage risque fort de se poser. «Tous les industriels veulent avoir recours à l’électrification, à la biomasse… mais les disponibilités étant limitées, il y aura des arbitrages à faire entre la mobilité, l’énergie domestique, l’industrie, etc.», analyse Eric Bergé. Mais la sobriété ne fait pas encore partie du logiciel des employeurs.

18%

des émissions de CO2 belges sont dues à l’industrie lourde.

Tracer la route

D’ici 2050, certaines activités industrielles risquent de disparaître, comme le raffinage de pétrole, ou la distribution de gaz naturel ou de charbon. D’autres activités, comme dans les secteurs de l’acier, de la chaux, ou encore du ciment, vont probablement devoir diminuer leur volume. Heureusement, de nouvelles activités vont également éclore.

«Comment garantir le maintien et le développement d’emplois durables et de qualité à moyen et long terme si ces transformations ne sont pas anticipées, dans le cadre d’une transition juste organisée au niveau régional?», s’interrogeait Marc Becker, secrétaire national de la CSC en charge des affaires wallonnes, dans le cadre d’une carte blanche co-écrite avec la FGTB wallonne et Canopea1.

Depuis des années, la CSC réclame des feuilles de route pour que la transition des secteurs industriels wallons soit négociée dans le cadre de la concertation sociale, au niveau régional, sectoriel et de l’entreprise.

Concertation de branche

En Wallonie, la politique énergétique industrielle est en effet principalement basée sur des accords de branche, des accords conclus sur base volontaire entre la Région et les fédérations industrielles. Pour la CSC, une participation des organisations syndicales à ce processus s’avère indispensable. Par ailleurs, pour que ces accords soient efficaces, «il s’agit de dépasser la seule atteinte des objectifs énergétiques et climatiques adoptés par la Wallonie, pour promouvoir le redéploiement économique régional dans le cadre d’une industrie décarbonée, ainsi que des investissements dans les technologies innovantes». Dans ce contexte, pour la CSC, des engagements fermes en matière de formation et de reconversion des travailleurs impactés par les projets développés doivent être pris au niveau des entreprises concernées. Plus largement, l’obligation de maintien du niveau d’emploi sur les différents sites de production des entreprises doit faire l’objet d’accords de branche.

Comme on peut le constater, le chemin vers une transition juste est encore long et parsemé de défis… 

1. Canopea est la fédération des associations environnementales belges qui défend l’environnement en Wallonie et en Belgique, NDLR.