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L'info n°1414/07/2023

Severance: une série haletante sur le monde du travail

Il est plutôt rare qu’une série, qui plus est américaine, aborde frontalement les questions du statut du travailleur et de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. C’est pourtant ce que fait, de manière extraordinairement efficace et diablement excitante, la série Severance, diffusée sur Apple TV+.

David Morelli

La société Lumon Industries expérimente une techni­que de ressources humaines révolutionnaire visant à accroître la productivité de ses travailleurs. Pour être engagés dans cette société, les employés doivent subir une opération chirurgicale qui sépare hermétiquement leurs souvenirs liés à leur vie professionnelle de ceux liés à leur vie privée. Dès qu’ils entrent dans l’ascenseur qui les emmène vers les sous-sols où ils effectuent leur (très) mystérieux travail, ils oublient ce qu’ils ont fait la veille, s’ils sont mariés, s’ils ont des enfants… Et une fois remontés à la surface, ils sont incapables de communiquer sur leur entreprise et le travail qu’ils effectuent. Cette expérience d’équilibre entre travail et vie personnelle est mise à mal lorsque l’une des travailleuses commence à s’interroger sur la nature de son travail… et sur elle-même.


Un fantôme dans la machine

Écriture millimétrée, esthétique affolante, scé­nario vertigineux, humour caustique… Severance fait un sans-faute tout au long d’une première saison qui se termine dans un suspense insoutenable. Elle propo­­se sur­tout des réflexions fines et passionnantes sur le monde du travail. Car Severance, c’est d’abord une critique acerbe d’un capitalisme radical qui, drapé de l’alibi de veiller au bien-être des travailleurs, vise en réalité à les soumettre aveu­glément aux ordres de la direction pour maximiser leur productivité. Le travail y est absurde et ennuyeux, et sa finalité reste une énigme: les employés doivent supprimer les «mauvais chiffres» sur un ordinateur, sans qu’on leur explique en quoi ces chiffres sont mauvais, au-delà de leur ressenti personnel. Dans ces conditions, comment ne pas être aliéné? Comment conserver son identité, son humanité, et entrer en solidarité, dans un environnement cotonneux où le chacun pour soi, le secret et la concurrence entre les services règnent en maître? Et surtout, comment se rebeller face aux conditions de travail imposées par une direction autoritaire et sans éthique dans un univers hyper-contrôlé et sécurisé qui ne permet pas à la colère de s’exprimer hors les murs?

Dystopie kafkaïenne sur les «bullshit jobs», fable ubuesque sur une certaine culture d’entreprise, thriller d’entreprise haletant sur la solitude des lanceurs d’alerte, Severance est tout cela à la fois, et bien plus encore.

Severance est un thriller d’entreprise haletant sur la solitude des lanceurs d’alerte.