Les signaux d’alarme concernant le décrochage des travailleurs en raison de troubles musculosquelettiques (TMS), confirmés par une étude récente, ne sont guère abordés dans le débat sur l’allongement de la durée du travail. Pourtant, ce sont les travailleurs les moins impactés qui en parlent le plus.
Maarten Hermans (adapt. D.Mo.)
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En avril, le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale et le Conseil économique et social de Flandre ont présenté les résultats d’une vaste étude sur la qualité de l’emploi en Belgique, basée sur près de trois décennies de données. Ces résultats ont pourtant reçu peu d’échos dans le débat public, alors qu’ils sont particulièrement pertinents pour les politiques d’emploi et de fin de carrière.
Il en ressort que les indicateurs liés au travail physique lourd et répétitif en Belgique sont actuellement à leur plus haut niveau depuis le début des enquêtes en 1995. Les travailleurs exposés en permanence à des facteurs de risque – soulever des charges lourdes, des personnes, effectuer des opérations, devoir travailler dans des postures fatigantes et non naturelles, etc. – développent des troubles troubles musculosquelettiques. Ceux-ci sont, par exemple, des douleurs lombaires, des tendinites, ou encore de l’arthrose.
Ces facteurs de risque et leurs conséquences sont très répandus dans tous les secteurs. Depuis 2015, le secteur de la santé et du bien-être a détrôné celui de la construction pour occuper la première place, avec 41% des travailleurs qui déclarent avoir un travail physiquement lourd. Par ailleurs, 43% des travailleurs du commerce de gros et de détail déclarent exercer un travail physiquement pénible, les obligeant à travailler dans des positions inconfortables et à effectuer des mouvements répétitifs prolongés. Ce type de travail exige d’un tiers des travailleurs de ce secteur une charge de travail problématique.
72%
des travailleurs belges se plaignent de problèmes de santé liés aux TMS.
Désormais, un nombre record de 72% des travailleurs belges se plaignent de problèmes de santé liés aux TMS. Seuls 58% de ces travailleurs considèrent qu’ils pourront exercer leur emploi actuel ou un emploi similaire jusqu’à 60 ans – a fortiori jusqu’à 67 ans. La recherche confirme par ailleurs que lorsqu’un travailleur peut opter pour un travail physiquement plus léger, son risque de se retrouver en incapacité permanente pour cause de TMS diminue de moitié.
Si l’on continue d’exposer les travailleurs à un travail aussi propice aux pathologies, ils finiront par avoir le dos brisé et se retrouveront au chômage, dans une forme de pension, ou encore en maladie de longue durée. Sur les 500.000 malades de longue durée, un tiers ont décroché en raison de ces troubles musculosquelettiques.
Le débat public et politique sur l’allongement de la durée du travail et le retour au travail aborde rarement l’énorme problème du travail qui rend malade. Le fait que les personnes qui ont le plus à dire sur l’allongement de la carrière professionnelle soient les moins touchées par le phénomène explique en partie cette situation. Les personnes les plus susceptibles de quitter le marché du travail en raison de TMS sont, par exemple, l’aide-ménagère qui nettoie les maisons des particuliers, ou l’accompagnatrice qui soulève les enfants en bas âge. Pendant ce temps, depuis leurs chaises de bureau ergonomiques, d’autres rédigent des rapports et des articles d’opinion sur la façon dont ces travailleurs devraient rester plus longtemps sur le marché du travail…
Certains professeurs, tels que Stijn Baert, de l’université de Gand, par exemple, qui plaide constamment en faveur de mesures d’activation strictes, jouissent des meilleures perspectives en termes d’espérance de vie en bonne santé. Le risque de décès précoce s’est réduit de moitié dans ce groupe professionnel par rapport à la moyenne de la population active entre 2001 et 2017. En revanche, le personnel de nettoyage qui fait le ménage chez ce professeur, ou qui travaille en sous-traitance à l’université, a vu son risque augmenter de 25% (à lire en page suivante).
Ces années supplémentaires de vie en bonne santé et ces pensions très décentes leur sont bien sûr entièrement dues. Mais peut-être faudrait-il, en contrepartie, demander un peu plus d’introspection aux professeurs, aux parlementaires, aux chefs d’entreprise et à ceux qui interviennent le plus dans le débat sur la fin de carrière, alors qu’ils peuvent eux-mêmes travailler et vivre plus longtemps en bonne santé.
Dans le débat sur la fin de carrière, la CSC continue d’insister sur l’importance de s’attaquer en priorité au travail qui rend malade. Il est donc encourageant que le ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne, ait promis de déposer, à l’automne, une proposition visant à améliorer la législation relative à la prévention des TMS au travail. Affaire à suivre.