«Le secteur est loin d’être exsangue»
Alors que les négociations dans le secteur du commerce alimentaire bloquent sur la question de la prime pouvoir d’achat, une étude de la CSC Alimentation et services montre que la situation financière du secteur n’est, en moyenne, pas catastrophique.
David Morelli
Dans une étude publiée le 6 novembre dernier, le service d’études de la CSC Alimentations et services (CSC A&S) a objectivé les bénéfices du secteur du commerce alimentaire en 20221. Premier constat: le chiffre d’affaires du commerce alimentaire a augmenté de 48,5 milliards d’euros en 2021 à 52,6 milliards en 2022 (+8,5%). Cette hausse est due aux hausses des prix facturés aux consommateurs. Mais les coûts ont aussi augmenté sur la même période.
Deuxième constat: le bénéfice d’exploitation des entreprises du secteur est passé de 1,6 milliards (2021) à 1,4 milliards d’euros en 2022 (-10,5%). «C’est une diminution. Mais une diminution à relativiser avec les années précédentes, explique Olivier Malay, économiste à la CSC A&S et auteur de l’étude. Les bénéfices 2022 sont similaires à leur niveau 2019, eux-mêmes supérieurs à leur niveau de 2018. Si la chute semble importante, c’est surtout parce que le commerce alimentaire avait fait de très bonnes performances en 2020 et 2021, notamment pendant les confinements.»
Troisième constat, la moyenne cache certaines disparités: les commerces de plus de 50 travailleurs ont vu leurs bénéfices d’exploitation se réduire davantage (-22% entre 2021 et 2022). Par contre, les plus petits commerçants (moins de 50 travailleurs) ont presque été épargnés, avec une diminution du bénéfice de seulement 5%. «Ces diminutions se réalisent par rapport à des niveaux de profitabilité historiquement élevés, en particulier pour les grandes entreprises, rappelle l’économiste. Dans certains cas, les bénéfices, même réduits, restent à des niveaux honorables.» Le groupe Colruyt, par exemple, clôture l’année avec un bénéfice après impôts de 201 millions d’euros.
Sur les 1,4 milliards d’euros de bénéfices d’exploitation, 372 millions ont été payés en impôts, 716 ont été versés aux actionnaires et 67 aux administrateurs et gérants en rémunération (en plus de leur salaire). Le reste a été mis en réserve ou a servi aux opérations financières des entreprises. Pour la CSC A&S, le secteur est donc loin d’être exsangue.
Le payement d’une prime pouvoir d’achat dans les entreprises ayant réalisé de bonnes performances constitue un des points d’achoppement des négociations en cours entre syndicats et employeurs concernant les conditions de travail du secteur. Pour Steve Rosseel, responsable national CSC A&S, une telle prime doit être versée dans toutes les entreprises qui le peuvent. «Beaucoup d’entreprises sont assez riches pour la payer, mais les fédérations patronales – Comeos en tête – bloquent. Alors qu’ils versent 716 millions d’euros à leurs actionnaires, ils ne veulent payer que trois millions de prime maximum à l’ensemble de leurs ouvriers. Avec le front commun syndical, nous demandons un minimum de 250 d’euros par personne dans les entreprises en bénéfice. Si on versait ne serait-ce que la moitié des bénéfices après impôts à tous les travailleurs du secteur, il y aurait de la marge pour une prime de 3.800 euros pour chacun d’eux», conclut-il. Des actions sont à prévoir, prévient le front commun.
1. Source: Données comptables déposées par 12.581 entreprises du commerce alimentaire à la Banque Nationale de Belgique.
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Beaucoup d’entreprises sont assez riches pour payer une prime à leurs travailleurs, mais les fédérations patronales bloquent.