L’énergie est un bien essentiel et stratégique. Pour la CSC, l’approvisionnement et la tarification ne peuvent donc être laissés seulement au marché. L’énergie constitue également un droit fondamental dont l’accès doit être garanti à tous. «Il faut garantir la sécurité d’approvisionnement, des prix stables et corrects et le développement rapide des énergies renouvelables, déclare François Sana, conseiller au service d’études de la CSC. Les pouvoirs publics doivent intervenir vigoureusement pour assurer l’approvisionnement à des prix raisonnables.»
Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux liés à l’énergie ont pris une ampleur inédite lors de la crise énergétique qui a atteint son paroxysme l’année dernière: le 26 août 2022, le prix du gaz atteignait 339€/MWh sur le marché du gros contre environ 22€ un an auparavant. Le même jour, le prix de l’électricité dépassait la barre de 1.000€/MWh en France, alors qu’il tournait autour de 85€ un an avant. Si cette explosion des prix de l’énergie s’explique par des éléments conjoncturels ou exceptionnels, comme la reprise post-Covid ou la guerre en Ukraine, elle s’explique aussi par des éléments structurels, parmi lesquels l’organisation des marchés du gaz et de l’électricité depuis la libéralisation.
Depuis la libéralisation du marché de l’énergie, le gaz, par exemple, ne s’achète pratiquement plus via des contrats de long terme avec prix fixes, mais bien via des contrats de court terme vendus et achetés sur des marchés gaziers. «Si une partie de la hausse du prix semble justifiée en raison des réductions de livraison de gaz russe, une autre, fruit de la spéculation liée aux craintes d’un arrêt des exportations de gaz russe vers l’Europe, aurait pu être évitée», constate le conseiller.
La hausse du prix du gaz s’est rapidement répercutée sur le marché de l’électricité, en raison du mécanisme de formation des prix de l’électricité en vigueur depuis la libéralisation de l’énergie. «Un autre modèle de tarification aurait pu permettre d’éviter la contagion de l’envolée des prix du gaz sur celle des prix de l’électricité», ajoute-t-il.
La libéralisation devait mener à des baisses de prix, à une augmentation de la qualité, à une sécurité d’approvisionnement renforcée et au développement rapide des énergies renouvelables. Ces prédictions ne se sont pas réalisées, d’après l’analyse de la CSC, qui conclut à l’échec patent de cette libéralisation. Sur base de ce constat, la CSC a rédigé des recommandations pour que la Belgique remédie à ce problème. En voici les points principaux.
1. Vers une meilleure régulation du secteur de l’énergie au service des travailleurs
La mesure prioritaire serait de constituer un pôle public de production de l’électricité. Une société coopérative publique de production pourrait être chargée d’approvisionner les clients résidentiels et les services publics afin de les soustraire définitivement aux aléas de la libéralisation des marchés. Pour renforcer ce pôle public, la (re)mise dans des mains publiques des parties du secteur de l’électricité devrait être envisagée s’il s’avère que ceci aurait des bénéfices sociétaux supérieurs aux coûts.
En ce qui concerne la fourniture d’énergie, une recommandation serait l’instauration de fournisseurs publics d’électricité et de gaz, avec un contrôle démocratique. Ils poursuivraient plusieurs objectifs: assurer des prix justes et transparents, redistribuer les profits, et privilégier les énergies renouvelables dans une perspective de transition juste.
La CSC préconise également la réintroduction d’une tarification nationale basse tension et basse pression pour les clients captifs (résidentiels et assimilés). Celle-ci serait basée sur les coûts de production par technologie pour l’électricité et sur les coûts d’importation pour le gaz.
Il semble également judicieux de revenir au maximum à des contrats de long terme avec des prix fixes.
Cette nouvelle tarification nationale veillerait à taxer les surconsommations énergétiques et à instaurer la gratuité de la consommation couvrant les besoins essentiels, avec une attention particulière pour les passoires énergétiques.
Il faut garantir l’approvisionnement à des prix raisonnables.
2. Éradiquer la précarité énergétique
D’après le dernier rapport de la Fondation Roi Baudouin, plus d’un ménage sur cinq était en précarité énergétique en Belgique, en 2020. La précarité énergétique est en constante augmentation. Une rupture par rapport aux politiques du passé semble nécessaire afin d’inverser la tendance et d’éradiquer la précarité énergétique d’ici à 2030. Pour ce faire, la CSC exige la mise en œuvre des mesures suivantes:
3. Élaborer une vision claire et un plan d’actions national de l’énergie
Les pouvoirs publics belges doivent élaborer d’urgence une vision cohérente de transition énergétique juste, en concertation avec tous les acteurs concernés.
Cela doit prioritairement déboucher sur un plan d’actions cohérent de sobriété énergétique et d’efficience énergétique, limitant le gaspillage et la surconsommation, tout en développant rapidement les énergies renouvelables, sur le modèle de la démarche NégaWatt (voir schéma ci-dessous).
Une vague de rénovations socialement juste doit constituer la pierre angulaire de ce plan. Les mesures ne doivent par ailleurs pas être appliquées aux dépens du tissu industriel. Des mesures de réduction de la demande qui menacent les emplois à long terme et ne prévoient pas de compensation et de protection adéquates des travailleurs ne seront pas tolérables.
Un accompagnement social maximum de ce passage à une utilisation plus intensive des énergies renouvelables doit être assuré, vu son impact sur l’ensemble du secteur énergétique. Cette transition n’est possible que si les travailleurs se voient offrir une perspective dans le secteur (y compris l’accompagnement social des travailleurs occupés dans le secteur fossile et nucléaire, la formation aux nouveaux métiers, le soutien à la recherche et au développement, et l’attention pour la contribution que l’économie sociale peut fournir). La CSC plaide pour un accroissement des soutiens aux projets énergétiques collectifs, notamment en matière d’énergies renouvelables. Elle soutient à cet égard les communautés locales d’énergie (CLE), à qui plus de moyens doivent être accordés pour développer leurs initiatives.