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L'info n°226/01/2024

Garages: une transition

boostée à l’électricité

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Les secteurs de la mobilité, a fortiori ceux de la distribution et de la réparation automobile, subissent actuellement une évolution qui s’apparente moins à du tuning qu’à un changement de modèle. Cette transformation profonde est synonyme de défis syndicaux à relever afin de ne pas laisser les travailleurs en panne d’employabilité.

David Morelli

Fin programmée des moteurs thermiques sur fond de (r)évolutions technologiques, ubérisation, arrivée de nouveaux acteurs sur le marché… Dire que le secteur automobile a déjà débuté sa transition relève de l’enfoncement de porte (de garage) ouverte. Partout en Europe, nous assistons à une concentration d’entreprises dans les secteurs de la distribution et de la réparation automobile. Cette consolidation, qui vise à réduire les coûts et à augmenter les volumes de vente, se déroule également en Belgique, où les grands groupes rachètent à tour de bras des concessionnaires. «Ce contexte de regroupement de services de garage et de petites structures dans des mégastructures internationales constitue un défi en matière de concertation sociale, explique Anh Huynh, collaboratrice au cluster économique et social de la CSC Metea. Les lieux de décision ne sont plus locaux. L’employeur n’a quasiment plus rien à dire, et les délégations syndicales ne discutent donc plus avec les personnes qui ont le pouvoir de décision. Il va pourtant falloir tenter de maintenir et d’améliorer la concertation sociale locale dans ce contexte.»

Concentration

La montée en puissance des constructeurs chinois et l’ubérisation du secteur de la distribution automobile participent également à l’évolution du secteur. «Les constructeurs chinois proposent des dispositifs très nouveaux par rapport à ce qui se fait traditionnellement sur le marché automobile, entre autres en organisant la distribution de leurs véhicules sans réseau physique de concessionnaires et en s’organisant pour la réparation avec des réseaux préétablis», explique Paul Henry, responsable d’Educam, le fonds de formation sectoriel, notamment pour les secteurs ouvriers du garage et de la carrosserie. Ces pratiques, permises par la digitalisation de l’économie, participent à la tendance lourde de désintermédiation qui voit drastiquement diminuer le rôle des
importateurs et du réseau de distributeurs dans le processus commercial. «Les constructeurs souhaitent être en contact direct avec leurs clients. Ils vont donc mettre en place la vente en ligne, et certains d’entre eux vont modifier en profondeur les contrats de concessionnaires, qui vont disparaître au profit des contrats d’agence».

Voie de garage thermique

La vente en ligne constitue une menace importante pour les concessionnaires. Chez Tesla, par exemple, le véhicule est acheté sur internet et livré par le constructeur. «80% des opérations après-vente peuvent être réalisées directement par quelqu’un qui se déplace chez vous ou à votre lieu de travail pour faire les interventions», ajoute Paul Henry. Ajoutons également à ces évolutions majeures la mise en place des politiques de réduction des émissions de CO2 et les développements technologiques pour y parvenir, et voilà brossé le contexte global d’une période de transition. En perspective: la suppression de la vente de véhicule neufs avec moteur thermique en 2035, et son corollaire, l’entrée à pas forcés de l’Europe vers l’électrification généralisée des véhicules.


Une série de nouvelles compétences doivent se développer chez les ouvriers du secteur.

Maintenir l’emploi

Les effets combinés de ces différentes évolutions vont avoir des conséquences majeures. Parmi celles-ci, la diminution attendue du nombre d’interventions dans les garages et son impact à court terme sur l’emploi. «Il y aura moins de réparations parce qu’il y aura moins de kilomètres parcourus, d’entretiens, de maintenance, et il n’y aura plus forcément besoin de quelqu’un physiquement en continu en atelier, anticipe Anh Huynh. Les réparations et les mises à jour pourront se faire à distance pour les “voitures software”, bourrées de technologie». Dans ce contexte, le maintien et la croissance de l’emploi dans ce secteur constitue un enjeu syndical majeur. «Un des défis sera de trouver des niches liées au maintien et à la croissance de l’emploi. Mais il restera des mécaniciens de maintenance pour s’occuper des transports de personnes et de marchandises, des véhicules de service (ambulances, etc.). Et leurs compétences sont transférables à d’autres types d’engins: les motos, les vélos…».

S’adapter rapidement

La disparition des véhicules traditionnels va impacter le travail dans le domaine de l’après-vente au niveau du garage avec, à la clé, des enjeux syndicaux à relever, tout d’abord en matière de conditions et de bien-être au travail. «L’électrification et le recours accru à la programmation peuvent laisser penser que le métier est moins lourd, mais les mécaniciens continueront quand même à déplacer des charges et à aller sous les ponts pour inspecter les véhicules dans des postures peu confortables. Cela peut aboutir à des troubles musculosquelettiques. L’électrification et la digitalisation augmentent par ailleurs les risques psychosociaux liés à la programmation des véhicules», constate Anh Huynh.

En matière de formation, les travailleurs devront être polyvalents, «et cela doit être lié à une amélioration et une adaptation des barèmes». En effet, ils devront être compétents pour intervenir sur des véhicules hybrides, électriques ou à hydrogène, et maîtriser les logiciels et technologies auxquelles un nombre croissant de véhicules seront connectés. «Une série de nouvelles compétences doivent se développer chez les ouvriers du secteur, parmi lesquelles la capacité de communication et d’adaptation: les nouveautés viennent tellement rapidement qu’on ne peut plus former tout le monde sur toutes les technologies. Il faut pouvoir s’adapter rapidement», conclut Paul Henry.

Anticiper les mutations


«On parle beaucoup de transition, d’impact et de risques au niveau de l’emploi dans le secteur des garages et carrosseries. Ces mutations, on les voit venir depuis plus de dix ans, et on a tenté de les anticiper»
, explique Anh Huynh.

Des outils sont à disposition dans les entreprises pour les travailleurs: plan de formation annuel, certifications des fonctions, ou encore scanner de bilan de compétences, qui permet de voir où progresser dans son métier. Parmi ces outils à destination des travailleurs se trouve également le droit individuel à la formation. L’accès de tous à ce droit constitue un enjeu important. «Si les formations “professionnelles” consacrées aux hybrides, aux voitures électriques, au Smart Repair… sont vraiment accessibles à tous les travailleurs du secteur, tout le monde n’a pas la possibilité de pouvoir faire des choix volontaires, en dehors de ces formations classiques», détaille Anh Huynh.

Valoriser la polyvalence

Pour s’adapter à la mutation technologique, les ouvriers du secteur deviennent de plus en plus polyvalents. «Ils doivent prendre conscience des capacités et des compétences énormes qu’ils ont, et elles doivent être valorisées. Les dénominations de métier comme “mécanicien d’entretien” ou “technicien de maintenance en diagnostic” n’ont pas changé, mais le contenu a changé… sans être payé plus. Il faut les lier à une amélioration des salaires et barèmes.»

Mais, plus globalement, les métiers traditionnels des garages ont changé. «On est passés d’une physique manuelle à de la physique abstraite, de la mécanique à l’électricité, mais cela reste des métiers de passion. Leur image doit évoluer. Ils doivent être perçus par les jeunes comme des métiers porteurs d’emplois hautement qualifiés et modernes. Cela pourrait permettre d’améliorer les conditions de travail et d’accroître leur attractivité», conclut Anh Huynh.

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La disparition des véhicules traditionnels impacte fortement le secteur et ses travailleurs.