Le dossier

L'info n°0307/02/2025

Activation des demandeurs d’emploi:

un horizon de plus en plus répressif

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La note d’orientation préparant la réforme du paysage de l’emploi prévoit une responsabilisation accrue des acteurs de la formation et de l’insertion et des demandeurs d’emploi, synonyme de pression et de répression. L’idéologie semble souvent prendre le pas sur les réalités du terrain dans la politique d’insertion et d’activation qu’elle annonce.

David Morelli

La réforme du paysage de l’emploi voulue par l’actuelle majorité wallonne est en marche. La «note d’orientation» présentée en novembre dernier par le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet, constitue l’ossature programmatique de la future réforme du paysage de l’emploi, de l’insertion socio-professionnelle et de l’activation des demandeurs d’emploi. Elle en dévoile les objectifs et les axes stratégiques (voir encart en page suivante). Objectif global: atteindre l’objectif européen de 80% de taux d’emploi d’ici 2030. Avec un taux qui est aujourd’hui de 68,1%, l’écart à résorber est donc d’un peu plus de 10%.

Pour Marc Becker (photo), secrétaire national en charge des affaires wallonnes à la CSC, cet objectif apparaît comme résolument dogmatique. «Au début des années 2000, les économistes disaient que pour qu’une économie fonctionne, il fallait un taux d’emploi de 70%, rappelle-t-il. Nous y sommes quasiment. Mais maintenant, l’objectif est de 80%. Tous les économistes vous diront que même si vous mettez au travail tous les malades de longue durée et toutes les personnes au chômage aujourd’hui, vous n’arriverez quand même pas à 80% de taux d’emploi. C’est absolument impossible à atteindre.» Mais la coalition régionale Azur (MR-Engagés) semble pourtant bien décidé à atteindre cet objectif: elle l’a intégré dans sa Déclaration de politique régionale, et le ministre de l’Emploi a axé sa note d’orientation dans cette perspective, sur base de trois prémisses.

La première d’entre elles avance que, puisque 45% des chômeurs wallons sont des chômeurs de longue durée, il suffirait de les activer pour répondre aux 5% d’emplois qui ne sont pas pourvus en Wallonie. Pour ce faire, la note envisage un processus de durcissement du contrôle, une activation renforcée des demandeurs d’emploi et un raccourcissement des délais. Objectif: une offre d’emploi, de stage ou d’entrée en formation dans les quatre mois qui suivent l’inscription (voir schéma d’activation ci-dessous). Pour Marc Becker, ce sont des délais qui, pratiquement, sont impossibles à respecter, «tant cela nécessiterait de personnel».

L’autonomie du demandeur d’emploi dans la construction de ce plan d’action en quatre mois, son orientation et le type d’accompagnement que le Forem lui soumettra dépendront de son employabilité et de ses compétences numériques. Par exemple, un demandeur d’emploi avec une employabilité élevée ou moyenne mais sans compétence numérique sera accompagné physiquement et orienté vers l’un ou l’autre secteur spécifique. Un demandeur d’emploi avec une employabilité faible et sans compétences numériques sera quant à lui plutôt orienté vers un accompagnement socio-professionnel (voir schéma «Une autonomie conditionnée» ci-dessous).

Responsabilisation univoque

La note prévoit également une «responsabilisation» accrue du demandeur d’emploi (rebaptisé d’ailleurs «chercheur d’emploi»), formule libérale synonyme d’accentuation des contrôles et de durcissement des sanctions. Quelques exemples: à partir de la première absence, un recommandé avec un avertissement ou une sanction tombera; deux convocations seront envoyées aux demandeurs d’emploi en accompagnement socio-professionnel, au lieu de trois précédemment; exit la possibilité – unique – qui était précédemment laissée de recourir à une absence sans motif valable.

Enfin, la responsabilisation du «chercheur d’emploi» est renversée: ce sera désormais à lui de relancer la mécanique du suivi au risque, s’il ne le fait pas, qu’elle soit définitivement abandonnée, avec des sanctions à la clé. «Dorénavant, toutes les étapes de l’accompagnement seront obligatoires. L’employeur ou l’opérateur de formation chez qui un demandeur d’emploi est envoyé sera par ailleurs obligé de signaler une absence au service contrôle du Forem. C’est une véritable logique de délation qui pourrait être mise en place et exigée, s’inquiète Marc Becker. Le caractère répressif de l’accompagnement est accentué. Ce n’est plus un accompagnement positif. En arrière-plan, on augmente les services de contrôle avec un narratif qui fait peser l’ensemble des problèmes du marché de l’emploi sur le dos des demandeurs d’emploi. A contrario, il n’y a aucune responsabilisation des employeurs. On ne parle pas une seule fois de leurs responsabilités dans les 24 pages de la note!».

Privatisation rampante

La seconde prémisse de la note du ministre Jeholet est la nécessité de simplifier le paysage de l’insertion sociale et professionnelle, qui n’est pas suffisamment lisible à ses yeux. Pour ce faire, la note prévoit un cadastre préalable à une évaluation et à une rationalisation des acteurs de la formation et de l’insertion socio-professionnelle (ISP) en fonction de l’offre, de la situation géographique ou de l’accessibilité. Elle prévoit également leur responsabilisation. Les opérateurs de formation et d’ISP devront par ailleurs organiser des actions ciblées à la demande des entreprises ou du Forem. «Les employeurs vont donner le ton à un certain nombre d’organisations de formation, commente le secrétaire national wallon. Un partenariat avec le privé, l’intérim par exemple, est évoqué, ainsi qu’une articulation avec les CPAS: avec la limitation des allocations de chômage dans le temps, nombre de personnes vont devoir y avoir recours. Ils constitueront une réserve de main-d’œuvre activable pour les métiers en pénurie.»

La note d’orientation prévoit également d’intégrer les employeurs et les secteurs dans le pilotage de l’offre des formations professionnelles qualifiantes, recentrant encore un peu plus ces dernières sur les besoins actuels (métiers en pénurie) et futur du monde du travail et des employeurs. Le gouvernement fixera les grandes lignes directrices et un cadre budgétaire sera discuté avec les différents secteurs professionnels. Pour Marc Becker, «cette implication du monde du travail dans le pilotage et l’augmentation des formations sur site constituent clairement une évolution vers une privatisation du monde de la formation professionnelle».

Perversion du système

La note mentionne une révision des agréments et des formules de financement des différents opérateurs. Elle introduit, entre autres, une part de financement variable, sur base d’indicateurs de réalisations ou de résultats. «Le ministre responsabilise les opérateurs de formation socioprofessionnels par rapport aux résultats qu’ils doivent obtenir. Mais en réalité, ils n’ont aucune responsabilité dans ces résultats, puisque ce ne sont pas eux qui construisent le marché de l’emploi: ils en dépendent, analyse M. Becker. Financer les opérateurs par rapport aux résultats risque par ailleurs de mettre en péril un certain nombre d’associations et de pervertir le mécanisme qui aura dès lors tendance à privilégier les publics les plus proches de l’emploi. Si vous êtes payé au résultat, vous avez intérêt à vous occuper d’eux plutôt que de ceux qui en sont le plus éloignés».

Syndicats non grata?

La dernière prémisse envisage quant à elle une révision du mode de fonctionnement et de la gouvernance du Forem, en vue d’atteindre le Graal idéologique des 80% de taux d’emploi en 2030. Le Forem fonctionnerait-il si mal qu’une révision en profondeur soit nécessaire? «Le taux d’emploi (68,1% aujourd’hui) a augmenté de 4,5% en quatre ans, ce qui est le meilleur taux atteint depuis qu’il y a des statistiques. Ce qui veut dire que les mécanismes en place aujourd’hui fonctionnent. Ce point n’est jamais mis en évidence par le ministre. Au contraire, depuis son entrée en fonction, il a fortement limité la publication des statistiques du Forem. Serait-ce parce qu’elles sont trop bonnes et que le taux de chômage diminue réellement…?», interroge, non sans ironie, le secrétaire national.
Quoi qu’il en soit, le comité de direction du Forem devra présenter en février 2025 une feuille de route des différents chantiers de cette note en identifiant ce qui nécessite des modifications réglementaires. À l’issue de ce travail, et parallèlement à une révision du contrat de gestion, une identification des points à modifier au niveau de la gouvernance du Forem et de son comité de gestion sera réalisée. «Cette révision de la composition du comité de gestion aboutira probablement à une éviction des organisations syndicales», analyse Marc Becker. La chasse aux chômeurs qui s’annonce s’accompagnera-t-elle d’une chasse aux syndicats?

Conclusion: la note d’orientation «Réforme du paysage de l’emploi» promet une augmentation de la pression tant sur les acteurs de la formation et de l’insertion que sur les demandeurs d’emploi, et remet implicitement en cause l’efficacité des mécanismes mis en place par le Forem. On recherchera par contre en vain toute trace d’évaluation de l’efficacité des aides à l’emploi qui sont octroyées aux employeurs dans le paysage…

Les 6 axes stratégiques de la réforme de l’emploi

  • Accélérer et intensifier l’accompagnement des demandeurs d’emploi en les mobilisant dès l’inscription; contacts réguliers pour une remise à l’emploi rapide.
  • Activer les demandeurs d’emploi à chaque étape du parcours en les responsabilisant via un suivi intensif et un contrôle actif de leur disponibilité.
  • Responsabiliser les acteurs en clarifiant les rôles de chaque opérateur et en instaurant une responsabilité tant du Forem au niveau de l’adressage que sur les résultats pour chaque acteur impliqué.
  • Répondre aux besoins des entreprises en structurant et en flexibilisant l’offre de formation pour combler les pénuries. Implication des entreprises et des secteurs professionnels dans le processus.
  • Doter le Forem d’outils numériques performants.
  • Assurer un suivi et un monitoring rigoureux des actions.