Le dossier

L'info n°1223/06/23

Quel avenir

pour les ALE?

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En mars dernier, le groupe des Travailleurs sans emploi (TSE) de la CSC organisait une assemblée sur l’avenir des Agences locales pour l’emploi (ALE). Celle-ci avait lieu pour présenter les résultats d’une enquête réalisée auprès des prestataires des ALE. L’Info fait le point sur ce dispositif indispensable, mais imparfait.

David Morelli

«Le dispositif des ALE, c’est à la fois un contrat de travail spécial, une structure en ASBL qui sert d’agence entre les travailleurs et les utilisateurs, et une exception aux conditions normales d’octroi des allocations de chômage, explique Paul Palsterman, ancien secrétaire régional bruxellois de la CSC, et fin connaisseur de l’histoire des ALE. C’est de l’action des TSE qu’est partie la réflexion sur le fait que, face aux difficultés à retrouver un emploi d’une partie des travailleurs sans emploi, et aux allocations de chômage insuffisantes, ce concept pouvait permettre à des demandeurs d’emploi relativement éloignés de l’emploi de pouvoir faire des petits boulots, en cumulant la rémunération de cet emploi avec les allocations de chômage.»

Une béquille parfois indispensable

La CSC s’est toujours beaucoup investie dans les ALE, notamment via sa présence dans les Conseils d’administration de ces ASBL qui réunissent, au sein des communes, les élus locaux et les interlocuteurs sociaux.

Bien sûr, les ALE ne sont pas le dispositif idéal pour la mise au travail des personnes sans emploi. «N’oublions pas que, si les ALE existent, c’est d’abord parce que l’allocation de chômage est trop basse. Nous savons que, très souvent, ce complément ne sert pas à acheter le beurre pour mettre dans les épinards, mais carrément les épinards», rappelle Khadija Khourcha, responsable des TSE. Néanmoins, la CSC considère que ce dispositif peut jouer un rôle positif pour certains types d’activités et de personnes. Isabelle Barez, secrétaire fédérale de la CSC Hainaut occidental, le soulignait à l’occasion de la journée sur l’avenir des ALE: «Les demandeurs d’emploi ont besoin de soutien, de retrouver du sens et de la reconnaissance. L’ALE est un lieu d’innovation sociale et un modèle d’adaptabilité des besoins locaux et des compétences des demandeurs d’emploi». Pourtant, la pérennité de ce modèle est incertaine.

Indemnités de prestations dérisoires

Pour une très large majorité des prestataires en ALE, le dispositif constitue une rentrée d’argent supplémentaire et une occasion d’avoir une vie sociale, mais il n’est pas exempt de problèmes. Une enquête a été réalisée par la Fondation Travail-Université auprès des prestataires ALE de la Région wallonne. Elle révèle que l’indemnité de prestation, qui s’élève à 4,10 euros de l’heure, constitue un motif d’insatisfaction important pour 40% des répondants, voire très important pour 30% d’entre eux. Or, une revalorisation semble actuellement exclue. «Les finances wallonnes ne le permettent sans doute pas, mais c’est une question de choix politique, développe Khadija Khourcha. La Communauté germanophone, par exemple, a décidé de reprendre la compétence ALE en son nom propre et d’être tout à fait autonome dans sa gestion des chèques, des demandeurs d’emploi et des paiements de ceux-ci. L’indemnité de prestation des demandeurs d’emploi y est passée à 6 euros.»

Ce qui pose également question, c’est le caractère obligatoire de l’acceptation d’un contrat ALE. Si dans la pratique, le recours aux ALE se fait sur base volontaire, il y a pénurie de prestataires, notamment en raison de nombreuses exclusions du dispositif: radiation des bénéficiaires d’allocations d’insertion, suppression de la dispense pour chômeurs âgés, etc. Cela aboutit à une pression accrue sur les demandeurs d’emploi pour qu’ils prestent en ALE.

Lors de l’assemblée, de nombreux témoignages ont souligné le manque de reconnaissance du travail en ALE dans le parcours d’insertion socioprofessionnelle. En outre, les conditions de travail ne sont pas toujours faciles: travail physique souvent pénible dans le jardinage et le nettoyage, horaires coupés tôt le matin et tard le soir en accueil extrascolaire, ou encore remplacements d’urgence. La prise en compte de l’activité exercée en ALE lors des évaluations des recherches d’emploi par le Forem constitue également un des manquements qui fondent les revendications des TSE.

Si les ALE existent, c’est d’abord parce que l’allocation de chômage est trop basse.


L’assemblée organisée par les TSE en mars 2023, à Tournai.

Tremplin défaillant

L’enquête révèle également une situation interpellante: seuls 23% des prestataires interrogés ont suivi une formation proposée par l’ALE. Un constat qui interroge quant à l’efficacité du dispositif en matière de tremplin vers un contrat d’emploi. «Si une très large majorité de prestataires voit dans ces prestations la possibilité d’avoir une vie sociale en rencontrant de nouvelles personnes, nous ne pouvons pas perdre de vue que près de la moitié voudraient quitter l’ALE pour un vrai emploi, continue Khadija Khourcha. L’enjeu majeur, pour nous, c’est de voir comment ces prestations pourraient être transformées en vrai emploi. Des personnes espèrent être engagées et, finalement, font des carrières en ALE à 4 euros de l’heure.»

Un certain nombre de personnes restent donc collées à ce statut, qui manque effectivement de les remettre dans le circuit. «Cela vaudrait la peine d’avoir une réflexion globale sur la place de l’emploi incomplet dans la réglementation du chômage», ajoute Paul Palsterman.

Réformer ou disparaître

Finalement, l’évolution des ALE se dessine, pour la responsable des TSE, avec un nombre d’option restreintes: «Avec la sixième réforme de l’État, l’enveloppe est fermée. Ce dispositif est donc condamné à être refinancé et réformé, ou à s’éteindre. Malgré les manquements, nous ferons tout pour que ce dispositif, qui a prouvé son efficacité et qui répond à certains besoins, soit maintenu tant qu’il n’y aura pas d’autres solutions pour l’emploi, que les besoins de proximité ne seront pas rencontrés, et qu’aucun statut correct n’aura été trouvé pour les personnes éloignées de l’emploi.» 

Le groupe des TSE de la CSC organise deux assemblées des mandataires ALE, en vue de la construction d’une position de la CSC à ce sujet. Celles-ci auront lieu le mardi 19 septembre à 9h30 à Bouge (Namur), et le jeudi 28 septembre à 18h, en ligne.

Une ALE,

c’est quoi?

Une Agence locale pour l’emploi (ALE) propose un service local qui n’est pas disponible sur le marché ordinaire du travail. Elle offre la possibilité à des personnes éloignées de l’emploi d’effectuer des petits travaux dans leur quartier: jardinage, réparations ou travaux d’entretien légers, accueil extra-scolaire, garde ou soins d’animaux, aide pour des travaux administratifs, etc. Pour chaque heure prestée ou entamée, le collaborateur reçoit un chèque ALE de 4,10 euros de l’employeur, en plus de ses allocations de chômage. L’objectif est de permettre à des chômeurs de longue durée, des bénéficiaires du revenu d’intégration sociale et certains bénéficiaires de l’aide sociale financière, qui trouvent difficilement une place sur le marché du travail, de retrouver la voie vers l’emploi.

Chaque commune ou groupe de communes doit constituer une ALE. Celle-ci est instituée sous la forme d’association sans but lucratif (ASBL). La gestion des ALE en Wallonie, à Bruxelles et en Communauté germanophone est, depuis 2016, assurée respectivement par le Forem, Actiris et l’ADG.

En Wallonie, on dénombre 247 ALE actives, regroupés en sept bassins. Elles occupent plus de 7.500 prestataires. 156.000 chèques ALE ont été émis en 2022.

Source: Forem, novembre 2022.


Photo © David Morelli