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L'info n°1223/06/23

BRUXELLES

«Nous accusons le ministère
bruxellois de l’Emploi»


Le tribunal des travailleuses domestiques s’est installé sur les marches du Palais de justice.

Le 16 juin dernier, à l’occasion de la Journée internationale du travail domestique, la Ligue des travailleuses domestiques a intenté un procès contre le ministre bruxellois de l’Emploi, Bernard Clerfayt, et le gouvernement bruxellois. Entre fiction et réalité.

Donatienne Coppieters

Vendredi 16 juin. À l’ombre de l’imposant Palais de justice de Bruxelles, rue des Minimes, c’est l’effervescence. Un tribunal s’installe. Des nettoyeuses vêtues de tabliers et de gants en plastique jaune balayent les marches qui serviront de théâtre… au procès du courage politique. Tandis que des hommes politiques caricaturaux, forts de leurs certitudes, entrent en scène et s’asseyent sur le banc des accusés.

À la barre, les témoins se succèdent et accusent.

Xochill, travailleuse domestique, témoigne: «Dans ce tribunal, je me permets de retirer mon tablier et de mettre cette veste que je portais quand j’étais avocate et que je défendais mes clients au Salvador. Depuis que je suis en Belgique, je ne peux plus exercer mon métier, et je suis aujourd’hui une travailleuse domestique sans papiers, comme mes compagnes qui ont aussi dû quitter leurs professions et leurs rêves. Alors merci, parce que dans cette fiction que nous portons ici ensemble, je peux à nouveau exercer mon métier. Et je peux défendre les droits des travailleuses domestiques sans papiers en tant que l’une d’entre elles. (…) Nous accusons le ministère de l’Emploi, représenté par Bernard Clerfayt, de ne pas répondre à ses prérogatives en tant que ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, à savoir la lutte contre l’exploitation des travailleurs et travailleuses, la lutte contre les discriminations et contre le dumping social. Nous l’accusons de ne pas respecter les chartes et principes suivants: la Convention 189 contre l’exploitation du travail domestique, la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes, ainsi que les directives européennes sanctions et victimes. Nous demandons à la juge, sur base des preuves et témoignages que nous présenterons lors de cette audience, qu’elle se prononce en faveur de l’application de ces lois et de ces prérogatives.»

75.000

C’est le nombre de travailleuses domestiques sans papiers en Belgique. 

Plus de droits et une reconnaissance

En cette Journée internationale du travail domestique, une vingtaine de femmes domestiques sans papiers de toutes nationalités ont décidé de faire grève et de participer à ce tribunal comme victimes et plaignantes. Elles sont environ 75.000 en Belgique. Elles travaillent au chevet des personnes âgées, s’occupent des enfants, nettoient les maisons… Elles réclament une reconnaissance de leurs métiers d’utilité publique, et des droits: une protection juridique qui leur permette de porter plainte contre les employeurs abusifs, notamment par le biais d’une autorisation de séjour durant la procédure; un accès légal au marché du travail afin de mettre fin à la précarité de leur situation et de pouvoir cotiser à la sécurité sociale; mais aussi un accès aux formations professionnelles d’Actiris dans les métiers en pénurie, afin de valider leurs compétences.

De la fiction à la réalité

Le procès du jour était une fiction. Mais ce 16 juin, la Ligue des travailleuses domestiques a déposé une plainte au Parlement européen pour signaler le non-respect de plusieurs directives européennes par la Région bruxelloise. Elle demande qu’une délégation européenne soit dépêchée sur le terrain pour constater ces manquements, et que des mesures appropriées soient prises.

Témoignages

Hennie
«Je suis originaire des Philippines. Je suis arrivée il y a deux ans à Bruxelles. Je travaille en Belgique pour subvenir aux besoins de ma famille et de mes enfants. J’ai travaillé dans différentes familles. Je reste du lundi au samedi de 8h à 20h. Je termine à 16h tous les samedis, et je ne suis payée que 6 euros de l’heure. Au bout de deux semaines, mon employeur m’a demandé de lui faire un massage dans le cou. Puis il m’a demandé de lui masser tout le corps, trois fois par semaine. J’ai dû le faire parce que c’était mon patron. Je l’ai dit à sa femme, mais elle était de son côté. Alors ils m’ont tous deux accusé d’avoir volé de l’argent sans aucune preuve, et ils m’ont licenciée sans me payer pour le mois de travail que j’ai effectué. Ils ont menacé d’appeler la police. Je suis allée au syndicat pour voir si je pouvais porter plainte, mais il est difficile d’avoir des preuves quand on travaille dans le secteur informel sans papiers. De plus, porter plainte me fait courir des risques. J’ai peur d’être renvoyée aux Philippines. Mais regardez-moi aujourd’hui. Je ne suis plus seule. Vous n’êtes pas seules!»

Angèle
«Je viens de la RDC Congo. Je travaille dans une famille monoparentale avec un enfant autiste qui a plusieurs handicaps. J’ai acquis des compétences d’infirmière, d’aide-soignante, d’aide ménagère. Dans cette famille, je suis devenue puéricultrice, et je peux travailler 24 heures. Aujourd’hui, cette femme doit aller travailler, et avec ses deux bébés, elle a besoin de moi. Mais elle ne peut pas m’engager. Je dois travailler illégalement. Et avec toutes les souffrances de ce travail. Monsieur le ministre ne s’occupe pas des familles, comme de cette femme qui souffre avec ses deux bébés et qui a besoin de moi. Et moi qui ne peut pas être engagée.»

Bernard Clerfayt: «Je ne suis pas compétent»

Le 30 mai, des représentants de la CSC Bruxelles, du Mouvement ouvrier chrétien (Moc) Bruxelles, du Comité des travailleurs et travailleuses migrants avec et sans papiers, et de la Ligue des travailleuses domestiques sont (enfin) reçus par le ministre de l’Emploi bruxellois, Bernard Clerfayt. Cela fait suite, notamment, à leur passage en Commission Économie et Emploi au Parlement régional Bruxellois grâce aux 1000 signatures requises, obtenues par pétition. Extraits des échanges.

Bernard Clerfayt: Bien sûr je suis touché, en tant qu’humain, par ces interventions. C’est clair qu’il y a des abus qui ne peuvent être laissés sans rien faire. Mais je ne suis pas ministre de l’Emploi, je suis ministre de la mise au travail. Je n’ai pas la compétence de donner des papiers. Malheureusement, je ne peux pas sortir ma baguette magique.

Eva Jimenez, CSC: Mais ce n’est pas ce que l’on vous demande. On demande la régularisation du travail et non du séjour. Nous avons bien compris où nous sommes, nous. Chaque jour, il y a des travailleurs et des travailleuses abusés qui veulent porter plainte contre leurs employeurs abuseurs, leurs patrons. Certains d’entre eux, trop peu nombreux, sont entendus par l’inspection régionale chargée de veiller à l’application de la réglementation en matière d’emploi. Et plus précisément en ce qui concerne les travailleurs et travailleuses étrangers. Et encore plus précisément en ce qui concerne les groupes cibles, notamment les personnes les plus vulnérabilisées. Il s’agit bien d’une compétence régionale, puisqu’ils sont entendus par une instance régionale, qui est chargé de faire respecter des réglementations régionales.

Bernard Clerfayt: Nous n’avons pas les compétences. Point. Ça s’arrête là.

© Donatienne Coppieters