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L'info n°310/02/23

Limitation dans le temps des allocations de chômage: chaque mesure blesse, la dernière tue!

Face au risque de voir à l’avenir les allocations de chômage limitées dans le temps, le groupe des Travailleurs sans emploi (TSE) de la CSC présente une série de constats qui démontrent l’inefficacité de cette mesure.

Khadija Khourcha

L’idée de limiter les allocations de chômage dans le temps continue à faire son bonhomme de chemin, et paraît susciter l’adhésion de plus en plus de partis politiques. Comme si, faute d’avoir pu enrayer le chômage, il suffisait d’exclure les sans-emploi du bénéfice des allocations pour régler ce problème structurel.

Les partisans de cette mesure invoquent principalement trois arguments:

  • la limitation dans le temps pousserait les demandeurs d’emploi à franchir plus facilement le pas vers l’emploi;
  • au regard des difficultés de recrutement de certains secteurs, il existerait un nombre important d’emplois disponibles;
  • la limitation dans le temps des allocations de chômage se justifierait par la nécessité de réduire les dépenses en matière de sécurité sociale.

Ces justifications ne résistent cependant pas à l’analyse.

Des études convergentes

De nombreuses études belges (notamment de l’Onem, lire L’Info n°21, 2022) et internationales ont démontré que, si des mesures coercitives à l’encontre des personnes au chômage débouchaient sur une mise à l’emploi, cela ne concernait que les personnes qualifiées et déjà proches de l’emploi.

Même les défenseurs d’une telle mesure, comme Mathieu Lefebvre, professeur d’économie à l’ULiège, reconnaissent que «pour les chômeurs de longue durée, l’efficacité d’une telle mesure reste marginale». Notre expérience de terrain démontre bien qu’il s’agit en fait de satisfaire le fameux principe du taux d’emploi, un mirage idéologique qui ne répond à aucune logique, sauf celle de l’exploitation, puisque ce diktat ne tient compte ni du type ni de la qualité de l’emploi. Enfin, pour ce qui est du poids du chômage dans la sécurité sociale, il n’en représente que 6,5% du budget total – soit moins de 10 milliards sur un total de plus de 150 milliards1 – et il ne la met donc en aucune façon en danger.

Une étude analysant la limitation dans le temps des allocations d’insertion démontre également l’échec de ce type de mesures. Même pour les jeunes universitaires, l’étude indique une augmentation des emplois intérimaires de très courte durée, et conclut que «la réforme n’a pas favorisé la transition vers des emplois plus durables».

Pour les chômeurs de longue durée, l’efficacité de la limitation des allocations de chômage dans le temps est marginale.

Aveu d’échec

Défendre la limitation dans le temps des allocations de chômage, c’est aussi montrer une incapacité à formuler des propositions concrètes en matière de pouvoir d’achat ou de création d’emplois de qualité. C’est un camouflet, voire une feuille de vigne asséchée qui a beaucoup de mal à cacher l’absence de proposition progressiste en matière de lutte contre la pauvreté ou d’inclusion sociale. Cette mesure injuste et inefficace va mettre à mal le système de solidarité et engendrer un transfert de personnes et de familles qui vont soit se retrouver au CPAS, soit sombrer davantage dans la pauvreté.

Or, les allocations de chômage permettent déjà à peine de vivre décemment: la crise sanitaire a mis en évidence l’insuffisance des montants. À l’époque, le gouvernement s’en est bien rendu compte, car il a gelé la dégressivité et revalorisé des allocations de chômage temporaire. C’est donc bien un jugement de valeur, qui différencie les publics de «bons chômeurs temporaires» en temps de Covid (comme, à l’époque, les «bons chômeurs» de VW Forest ou Caterpillar)… et les «mauvais chômeurs» de longue durée. Les chômeurs de longue durée sont des personnes déjà précarisées qui, depuis l’activation, sont soumises à un contrôle et une pression qui les fait vivre dans l’angoisse et le stress au quotidien. À cela s’ajoutent les constats alarmants sur la santé des personnes sans emploi en termes de santé physique et mentale, ces problèmes étant directement dus à la situation de chômage.

Défendre la limitation dans le temps des allocations de chômage, c’est montrer une incapacité à formuler des propositions concrètes en matière de pouvoir d’achat ou de création d’emplois de qualité.

Une mesure contre-productive

Il convient dès lors de rappeler deux constats majeurs. Le premier est que la législation chômage actuelle est déjà très sévère et conditionne fortement l’octroi des allocations: deux évaluations positives pour les jeunes qui sortent des études, une durée de travail d’au moins un an à temps plein sur une période de 24 mois, la recherche active d’emploi, le statut familial, des contrôles très stricts…

Le second constat, c’est que les sans-emploi sont, plus que tout autre groupe social, victimes de problèmes physiques et mentaux, directement liés à leur situation de chômage2.

L’exclusion des allocations de chômage pour ceux et celles qui ont rempli toutes leurs obligations (étant donné que les autres ont déjà été exclus par l’activation) n’aidera pas ces personnes à trouver du travail plus rapidement. Au contraire, en perdant ce statut de chômeur ou de chômeuse, la personne exclue des allocations perd un revenu et du lien social, des possibilités de formation, et est de facto encore plus éloignée de l’emploi.

Revendications

Les TSE de la CSC exigent l’application de la Constitution et du droit fondamental qu’est le droit à l’emploi. C’est pourquoi le groupe des TSE exige avant tout la mise en œuvre de politiques de création d’emplois convenables et durables. C’est le chômage qu’il faut combattre, pas les chômeurs.

1. www.socialsecurity.belgium.be - Chiffre 2018
2. «Le droit à la santé des sans-emploi», FEC ASBL

© Jean-Luc Flémal - Belpress.com