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L'info n°0224/01/2025

Accroître le profit, nuit et dimanche inclus

La suppression de l’interdiction du travail du dimanche et le démarrage du travail de nuit à minuit au lieu de 20 heures font partie des mesures envisagées dans le cadre des négociations fédérales. L’Info revient sur ces deux mesures à travers deux témoignages.

Prop. rec. par D. Coppieters et P. Van Looveren

En ouvrant le dimanche, on crée du travail précaire.

La suppression de l’interdiction du travail du dimanche serait catastrophique pour le petit commerce et les travailleurs (à lire dans L’Info n°21, 2024). Annie Izzo, responsable d’un magasin Lidl à Chapelle-lez-Herlaimont et déléguée CSC depuis 16 ans, aborde les conséquences probables de cette mesure pour cette enseigne dont les portes sont, jusqu’à présent, closes le dimanche. 

Lidl n’ouvre pas ses magasins le dimanche. Il y a eu des exceptions pendant des périodes de fin d’année mais ces deux dernières années, Lidl ne l’a pas fait. Pourquoi? Parce qu’ouvrir les 304 magasins les six dimanches autorisés par année coûte cher à l’enseigne. Il y a quelques années déjà, nous avons négocié soit que les travailleurs soient soit payés triple ces jours-là, soit qu’ils récupèrent deux jours. On avait déjà tout fait pour éviter que l’ouverture des magasins le dimanche se généralise. Lidl l’a essayé quelques années mais ces deux dernières années, la direction a décidé de revenir en arrière, ce qui est très bien pour nous.

La direction n’en parle pas pour le moment, mais si elle envisageait de réouvrir les six dimanches autorisés, elle essayerait de renégocier les conditions de travail. Et si elle avait l’opportunité d’ouvrir les magasins tous les dimanches comme cela s’annonce avec les mesures gouvernementales, il n’y aurait rien à négocier. Elle aurait le droit de le faire sans contrepartie pour les travailleurs. Cela entraînerait une surcharge de travail pour le personnel actuel. Les directions étaleront les heures de travail alors que la surcharge est déjà problématique dans les magasins. On aurait moins de personnel par journée dans les filiales et la charge de travail ne ferait qu’augmenter. Pour compenser, ils vont engager des étudiants, c’est-à-dire de la main d’œuvre bon marché pour l’entreprise. Personnellement, je suis contre le travail du dimanche, parce qu’on a assez de temps du lundi au samedi pour faire nos courses – et mon budget ne va pas augmenter si on est ouvert sept jours sur sept.

Que du profit pour les employeurs

Vu la progression de son chiffre d’affaires et une belle part de marché, on voit que Lidl ne souffre pas de la concurrence des enseignes. Ses concurrents directs sont Colruyt et Aldi qui n’ouvrent pas le dimanche, sauf exception. Mais s’ils ont l’opportunité d’ouvrir sept jours sur sept sans sursalaire, ils vont aussi le faire pour éviter que les gens dépensent de l’argent ailleurs.

Les arguments du gouvernement pour permettre l’ouverture à tout moment, c’est la flexibilité, l’annualisation du temps de travail, le développement des contrats précaires. Moins on payera les gens, mieux ce sera pour les directions... On est gouvernés par le capitalisme et on s’en fout du travailleur. Ce n’est que du profit pour le monde patronal.

Je perdrais entre 150 et 200 euros par mois!

Dany Beesman, 51 ans, travaille depuis 24 ans comme agent de sécurité et depuis 2004 sur le site d’Engie à Bruxelles. Ce délégué CSC présente son travail et les conséquences des mesures envisagées dans la note Arizona en matière de travail de nuit sur son salaire.

J’ai toujours fait du travail de nuit. Auparavant, j’ai travaillé pendant neuf ans dans une boulangerie, un travail de nuit également. Je voulais un autre emploi, et comme mon biorythme était déjà réglé pour travailler la nuit, j’ai continué ce rythme. Actuellement, je fais des shifts de 12 heures. Je commence à 19h et je travaille jusqu’à 7h du matin. Parfois trois nuits de suite, parfois quatre. Je suis opérateur d’alarme. Je suis derrière des écrans et je surveille tout ce qui concerne la sécurité, en intervenant si nécessaire. Le travail est différent chaque nuit. On ne sait jamais ce qu’il va se passer. Quand je travaille, je prends un repas chaud vers 1h ou 2h du matin. Lorsque je rentre chez moi, je m’occupe d’abord de mes animaux, je mange quelque chose de léger et je vais dormir. Je dors environ six heures.

Comme je fais des nuits, je reçois une prime de nuit. La convention collective de secteur prévoit une prime de 12,5% sur le salaire brut pour les heures entre 20h et 22h, et 22,5% pour les heures entre 22h et 6h. Si ces primes de nuit ne sont accordées qu’à partir de minuit, comme le propose la «super note» du formateur Bart De Wever, cela représente une perte financière pour ceux qui font les shifts de nuit. Je perdrais entre 150 et 200 euros par mois. De plus, mon pécule de vacances et ma prime de fin d’année sont calculés sur mon salaire brut. Sur l’année, cela représente donc encore plus d’argent. Beaucoup d’agents de sécurité seraient affectés par cette mesure et sont en colère. Il faut bien continuer à trouver des gens prêts à faire ce travail de nuit. 


Sur le travail de nuit et ses effets sur la santé, lire le dossier dans L’Info n°1.


© Donatienne Coppieters, Layla Aerts