Le dossier

L'info n°1307/07/23

Quand le gouvernement traque

les malades de longue durée

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Alors que la chasse aux chômeurs a repris de plus belle après la pandémie, une nouvelle proie est dans le viseur du gouvernement fédéral: le travailleur malade de longue durée.

David Morelli

Depuis quelques années, le gouvernement opère activement une campagne de chasse aux travailleurs malades, qui n’a que peu à envier à la chasse aux chômeurs. En cause: le nombre de malades de longue durée, c’est-à-dire les personnes en maladie depuis un an ou plus, qui dépasse désormais le nombre de travailleurs sans emploi bénéficiant d’une allocation de chômage. La Belgique dénombre aujourd’hui quelque 500.000 malades de longue durée et 300.000 demandeurs d’emplois. Et l’écart continue à se creuser au fil des années.

C’est dans ce contexte que le gouvernement tente de trouver des solutions pour atteindre son objectif de 80% de taux d’activité en 2030. Pour ce faire, et en dépit d’un nombre d’emplois vacants trop faible, il se tourne vers ces demandeurs d’emploi mais aussi vers les travailleurs malades, via les trajets de réintégration au travail et de retour à l’emploi (lire encadré p.4). «Ce qui pousse aussi le gouvernement à légiférer pour remettre le plus vite possible les travailleurs malades au travail, c’est que plus un travailleur est absent longtemps, moins il a de chance de le reprendre, analyse Laurent Lorthioir, collaborateur au service entreprise de la CSC. Le problème, c’est qu’il veut absolument les remettre au travail coûte que coûte, sans se demander pourquoi ils sont tombés malades, ni s’interroger sur les causes du passage de 300.000 à 500.000 malades de longue durée en moins de dix ans. La réponse se trouve, en fait, dans l’évolution des conditions de travail.»

De quoi souffrent les malades de longue durée?

Une enquête publiée en 2021 par la Mutualité chrétienne a tenté de comprendre pourquoi des travailleurs tombent en incapacité de travail. Quels sont leurs besoins? Quels facteurs freinent ou facilitent leur retour au travail?

Pour 56% des répondants, le travail est responsable, au moins en partie, de l’incapacité de travail. C’est particulièrement le cas pour les personnes confrontées à un burn-out ou à une maladie mentale. C’est principalement une charge de travail trop élevée et les mauvaises relations avec les responsables qui sont citées comme raisons de leur absence. Pour les personnes souffrant de troubles musculosquelettiques, c’est la charge physique qui est pointée du doigt.
Au-delà de la dégradation des conditions de travail, le durcissement des réformes de chômage constitue, pour Laurent Lorthioir, un facteur expliquant l’explosion du nombre de malades de longue durée. «Les travailleurs âgés ne peuvent plus partir en prépension et laisser leur place à quelqu’un d’autre. Quand le corps et/ou le mental ne suivent plus, l’arrêt maladie est inévitable. La CSC avait pourtant alerté le monde politique sur le fait que la suppression de la prépension aurait des conséquences…».

500.000

C’est le nombre de malades de longue durée en Belgique.

Nouvelles règles

Depuis le 1er octobre 2022, de nouvelles règles ont été édictées concernant la procédure de réintégration des malades de longue durée. Si les sanctions prévues dans ce nouveau cadre sont problématiques, deux aspects positifs méritent d’être brièvement pointés.Tout d’abord, la procédure de licenciement pour force majeure médicale est désormais distincte du trajet de réintégration (à lire dans L’Info n°1). Un travailleur soumis à cette procédure ne pourra plus être licencié s’il n’est pas déclaré définitivement inapte par le médecin du travail. L’employeur qui souhaite se séparer du travailleur en invoquant la force majeure médicale alors qu’elle ne peut s’appliquer devra payer des indemnités de rupture de contrat. Ensuite, ces nouvelles règles obligent désormais l’employeur à mettre en place une politique collective de réintégration, en collaboration avec les représentants syndicaux. «La législation n’a pas été changée parce qu’il y avait trop peu de demandes de trajet de réintégration, mais parce que depuis 2017, elle ne fonctionne pas, souligne Laurent Lorthioir. Et la Cour des comptes a pointé le responsable principal: le manque de collaboration des employeurs.»

Priorité au bien-être

Ce qui joue sans doute un rôle dans l’échec de ces mesures de réintégration, c’est que le travailleur malade n’est finalement pas au centre du dispositif. Elisabeth Degryse, vice-présidente de la Mutualité chrétienne, mentionnait à l’occasion d’un séminaire organisé par la CSC que «l’incapacité de travail est d’abord un problème de santé et doit être abordée comme tel. Le bien-être du travailleur doit être la priorité pour prévenir l’incapacité de travail. Ce sont des choses qui peuvent être anticipées.» Elle a également abordé les facteurs issus d’une enquête pouvant faciliter ou constituer un obstacle à la reprise du travail.

Cela peut sembler évident, mais le premier facteur facilitant l’aide à la reprise est que le travailleur en incapacité de travail ait totalement récupéré. Sans cela, les risques de rechute sont beaucoup plus importants. Certaines personnes décident néanmoins de reprendre le travail pour des raisons financières.

Pendant la reprise du travail, le soutien des proches, de la famille, des collègues et/ou du supérieur hiérarchique sont très importants, particulièrement pour les personnes ayant subi un burn-out. Le manque de soutien constitue un obstacle pour de nombreux répondants.

Aménagement et accompagnement

En matière d’aménagement du travail, un des premiers besoins exprimés est de travailler moins d’heures. Pour les affections psychiques en particulier, il y a un besoin d’avoir un contenu de travail adapté, et moins de stress. Pour les personnes ayant des problèmes musculo-articulaires, les demandes d’aménagement consistent en un travail moins lourd physiquement. 50% des participants considèrent qu’ils ont besoin d’aménagements pour reprendre le travail, mais 40% ne les ont pas obtenus. Pour Elisabeth Degryse, «la manière dont les managers et les responsables d’équipe prennent en considération ces besoins d’aménagement au moment de la reprise pose question. Il y a un décalage par rapport à ce besoin alors que les employeurs ont un rôle important à jouer, entre autres dans la formation des managers à l’accompagnement des travailleurs. L’accompagnement constitue la première condition de reprise du travail.»


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