La volonté politique est de faire accepter n’importe quel travail. Les demandeurs d’emploi n’auront pas d’autre choix que d’accepter un job inconvenable, bien en dessous de leurs compétences, un horaire incompatible avec leur vie privée, éventuellement loin de leur logement. Tous ces «forcés» viendront faire pression dans le bas du marché de l’emploi, dans les fonctions moins qualifiées, qui se font rares partout.
On a déjà 20 ans d’expérience de «chasse aux chômeurs». On a d’abord exclu les chômeurs évalués négativement, puis les jeunes au sortir des études. Ces réformes ont montré les effets de la sanction sur leurs parcours: primo, un choc psychologique, car suite à l’exclusion, le chômeur se sent inutile, découragé, voire désavoué dans son projet d’insertion. Secundo, avant même cette expérience désocialisante, la perte d’allocations est un choc fonctionnel: l’urgence de continuer à payer son loyer, ses factures et l’alimentation. Résultat: tous arrêtent leur recherche d’emploi, du jour au lendemain. Reste à se tourner vers les CPAS ou d’autres formes de survie, souvent en s’endettant en attendant l’octroi d’une aide incertaine.
Cette réforme pénalise clairement les territoires moins favorisés francophones de Wallonie et de Bruxelles, où il y a moins d'emplois et où les demandeurs d'emploi se retrouveront massivement dans la même impasse. Les villes les plus touchées par cette réforme sont celles qui sont déjà pauvres et désindustrialisées.
En Wallonie, c’est surtout le sillon Sambre-et-Meuse qui sera le plus concerné: Liège, Charleroi, Mons, Tournai et leurs banlieues. En Région bruxelloise, quinze des dix-neuf communes seront les premières affectées. Dans le «croissant pauvre», jusqu’à 6,5% de la population active se retrouvera exclue. En Flandre, la réforme touchera partout, mais de manière nettement moins intense.
L’analyse sociopolitique est claire: la N-VA tire cette mesure de son agenda nationaliste, soutenue par la droite francophone. Mais leurs alliés, les centristes de la majorité, acceptent qu’on ampute la sécurité sociale de son rôle de soutien essentiel quand le travailleur retrouve difficilement du boulot.
Les villes les plus touchées par cette réforme sont celles qui sont déjà pauvres et désindustrialisées.
Au Comité régional bruxellois (CRB), on travaille notamment avec des demandeurs d’emploi plus âgés, qui sont très inquiets. Les programmes d’accompagnement comme Actiris ou le Forem privilégient les chômeurs récents pour les remettre rapidement dans le circuit. Les TSE sentent qu’on ne les considèrera rapidement plus comme des candidats sur le marché de l’emploi. Le choix de l’Arizona est de les reléguer à l’aide sociale. D’autant plus que l’exemption des 55 ans est un enfumage: il faudra avoir une carrière complète de 30 ans pour rester indemnisé, ce qui ne représente que 6 à 8% de ces chômeurs âgés. La mesure, dont les détails restent non-définis, montre le grand amateurisme de ce gouvernement-des-droites: il ne comprend rien des réalités vécues par les TSE et les travailleurs intermittents.
Au CRB, on entend que les CPAS et les assistants sociaux n’en peuvent déjà plus. Ça fait vingt ans qu’ils crient dans le désert. Les finances communales sont à sec, la pauvreté se concentre en ville, les conditions de travail social sont devenues sordides et l’assistance est souvent vaine. Selon la fédération des communes bruxelloises, il faudrait recruter au moins 360 assistants sociaux pour les CPAS bruxellois, mais c’est comme envoyer des soldats au front. Un autre problème est la stabilité des financements: les CPAS urbains sont remboursés par le fédéral jusqu’à 70% des allocation RIS versées. C’est insuffisant car les 30% restants pèsent lourd sur les communes. À Bruxelles comme en Wallonie, les communes ne peuvent pas compter indéfiniment sur le trésor régional pour les renflouer, alors que cette «mesure d’économie» allège à peine les charges du budget fédéral.
Notre position est claire: d’abord, il faut rejeter cette réforme car elle attaque notre sécurité sociale et la régionalise de facto. Ensuite, il faut renforcer les CPAS et non pas les réformer. S’ils dysfonctionnent, c’est à cause de l’augmentation de la pauvreté, de sa densité en ville et du manque chronique de financement. Nous défendons le rôle de dernier recours du CPAS.
Notre position est claire: d’abord, il faut rejeter cette réforme car elle attaque notre sécurité sociale et la régionalise de facto.
↑ Le 3 juin dernier, une marche contre les exclusions du chômage s’est déroulée à Bruxelles. Quelque 200 personnes ont marqué leur opposition aux mesures brutales du gouvernement Arizona qui limite les allocations chômage à deux ans maximum.
On pense que ce n’est pas au CPAS de gérer l’accompagnement des demandeurs d’emploi, sauf pour les personnes qui ont besoin d’une insertion socioprofessionnelle spécifique. Pour tout ce qui touche à l’emploi, ce sont les institutions régionales spécialisées – Actiris, Forem et VDAB – qui doivent continuer à les rapprocher de leur prochain gagne-pain. Il faut absolument éviter que les demandeurs d’emploi exclus perdent le contact avec ces structures de remise à l’emploi. Si la réforme passe, il sera crucial que les CPAS et les relais régionaux spécialisés collaborent intensivement pour maintenir l’accompagnement vers l’emploi.
Une étude récente de Vivalis1 montre qu’à Bruxelles, seuls 17% des chômeurs exclus retrouveront un emploi, surtout à cause du manque d’offre, et 34% feront appel aux CPAS. Un grand nombre de personnes, surtout les seconds revenus du ménage, vivront sans revenu de remplacement, accroissant la dépendance et les tensions inhérentes aux solidarités intrafamiliales. Nombre de personnes n’auront simplement plus droit à rien, car l’aide sociale du RIS n’est pas une assurance chômage: il faut prouver qu’on galère, qu’on n’a plus rien. Le non-recours aux droits est très inquiétant: selon Vivalis, 44% des chômeurs exclus à Bruxelles risquent de se retrouver sans revenu, sans droits, sans aide. Cela représente donc 18.000 des 40.000 exclus, qui seront les premiers touchés par cette réforme injuste. Et ça rien qu’à Bruxelles! Les libéraux veulent une capitale de l’Europe attractive, mais ce qui va arriver, ce sont des quartiers avec des tentes dans les rues.
Anne Léonard, secrétaire nationale de la CSC, estime qu’on va largement dépasser les 100.000 exclus du chômage annoncés par le ministre Clarinval, car pour beaucoup, il suffira en réalité d’un an de chômage pour être exclu. Nous ne devons pas non plus sous-estimer le nombre de fin de droits dans le groupe des 55-67 ans: beaucoup de travailleurs et travailleuses, notamment à temps partiel, vont être concernés par ces exclusions. Et n’oublions pas que cette réforme fera loi dans la durée. C’est une machine à précarité de long terme.
1. Vivalis est chargée de la santé et de l’aide aux personnes en Région bruxelloise.
Retrouvez l’étude sur lc.cx/3oPXfj
© Donatienne Coppieters, Shutterstock, TSE CSC