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L'info n°1106/06/2025

Le mythe du «problème belge»

Les responsables politiques ont tendance à utiliser les personnes malades comme des cibles faciles pour se donner une image «stricte» auprès des électeurs, plutôt que de les considérer comme un groupe auquel il faut apporter des solutions. Le débat est dès lors pollué par des mythes et fait l’impasse sur des réalités essentielles. Parmi ceux-ci, celui du «problème belge».

Maarten Gerard

Un point récurrent dans le débat sur les malades de longue durée (MLD) est leur nombre record en Belgique par rapport à d’autres pays. Certains responsables politiques et organisations patronales suggèrent que le «système belge» encouragerait à rester malade plutôt qu’à travailler. Mais cette comparaison est trompeuse: les statistiques européennes ne sont pas directement comparables, car chaque pays utilise des catégories différentes et a fait des choix politiques différents par le passé.

Ainsi, en Belgique, les non-actifs malades se trouvent principalement dans la catégorie des personnes en incapacité de travail de longue durée, tandis que dans d’autres pays, elles appartiennent à d’autres catégories, ou ont été déplacées vers d’autres régimes de sécurité sociale ou de mise au travail, etc. Si, dans un pays donné, un durcissement des conditions d’allocation pousse les malades vers le chômage ou vers une forme de revenu d’intégration, le nombre de malades de longue durée y diminue statistiquement, sans pour autant que la situation réelle soit meilleure qu’en Belgique.

Les discours sur «le problème belge» occultent donc un énorme défi social international. Depuis des décennies, tous les pays européens sont aux prises avec le problème d’une population importante et croissante de MLD. Beaucoup d’entre eux ont opté pour une approche de plus en plus stricte, avec davantage de sanctions. Ce que nous enseigne leur expérience, c’est surtout que cette chasse aux malades ne résout pas le problème, bien au contraire!

Les discours sur «le problème belge» occultent donc un énorme défi social international.

La moitié des malades en difficulté financière

Le mythe des personnes malades qui restent chez eux pour «profiter» d’une allocation au lieu de travailler se répand car la réalité budgétaire des malades de longue durée est rarement expliquée. Mais la réalité est qu’après un an de maladie, en fonction de la situation familiale, l’indemnité représente entre 40% et 65% du salaire brut.

Et si vous avez eu la malchance de perdre votre emploi avant de tomber malade, l’indemnité est calculée sur un salaire brut forfaitaire encore plus bas. Il existe des montants maximum et minimum pour les indemnités, mais ces montants sont inférieurs au seuil de pauvreté.

La diminution de revenus va de pair avec des dépenses plus élevées. Un travailleur en maladie dépense en moyenne quatre fois plus en soins de santé qu’un travailleur actif: 531 euros contre 138 euros par an. En conséquence, la moitié des MLD peinent à joindre les deux bouts et 44% d’entre eux disent renoncer aux soins nécessaires (dentiste, médicaments pour eux ou des membres de leur famille…).

Alimenter ce mythe est pratique, tant pour les responsables politiques qui peuvent incriminer les victimes plutôt que de mettre en place des politiques efficaces pour lutter contre les MLD, que pour les employeurs. Tant que le débat porte sur ce que les malades devraient faire, on ne parle pas des conditions de travail qui rendent malade, ni du manque de postes adaptés pour les travailleurs qui souhaitent reprendre le travail.

Objectif: démanteler la sécurité sociale

Dans les médias, le monde politique alimente constamment les soupçons envers les soi-disant «inactifs». Ils sont dès lors perçus comme suspects, comme un fardeau budgétaire ou comme des profiteurs. Pour les partis de droite, il s’agit là d’une stratégie délibérée, inspirée notamment de celle des Républicains américains des années 80. Ceux-ci avaient constaté que s’attaquer directement à la sécurité sociale ne fonctionnait pas car une grande majorité des électeurs étaient favorables à des systèmes solides d’indemnités de maladie, de chômage, de pension, etc. Par contre, il est plus efficace de présenter certains groupes comme étant des profiteurs aux crochets de la sécurité sociale, de concentrer l’attention sur eux dans le débat public et de promettre des mesures strictes contre ces groupes. Une fois élus, il est alors plus facile pour ces partis de démanteler progressivement l’ensemble du système de la sécurité sociale.

Cette méthode est redoutablement efficace pour dresser les travailleurs les uns contre les autres: ceux qui «triment» et ceux qui «profitent» du travail acharné des autres. Pourtant, il est essentiel pour tous les travailleurs de préserver un système de sécurité sociale robuste: la frontière entre emploi et allocation est très mince. Il suffit qu’un proche ou vous-même tombiez malade, qu’une vague de licenciements survienne ou qu’une chute accidentelle se produise pour en avoir besoin.

On ne guérit pas avec des sanctions

Le précédent gouvernement fédéral a introduit des sanctions à l’encontre des MLD jugés insuffisamment coopératifs dans leur retour au travail. Ainsi, un travailleur malade pouvait perdre 2,5% de son indemnité s’il n’avait pas rempli un questionnaire médical envoyé par sa mutuelle. Le nouveau gouvernement élargit considérablement les motifs de sanction financière et en augmente la sévérité.

Il est désormais question de réduire l’indemnité de 10% en cas d’absence à un rendez-vous avec le coordinateur «Retour au travail» de la mutualité ou avec un conseiller du Forem/Actiris/VDAB. Si un travailleur ne se présente pas, après huit semaines de maladie, à un rendez-vous avec le médecin du travail, il risque la suspension totale de son allocation ou de son salaire garanti. Le gouvernement prévoit également de sanctionner le manque de coopération à un trajet de réintégration. Cette avalanche de sanctions financières va à l’encontre de toutes les conclusions issues de la recherche scientifique et de l’expérience politique à l’étranger sur ce qui fonctionne pour aider les malades de longue durée à retourner au travail. Plutôt qu’augmenter leurs chances de retrouver un emploi, cela nuit souvent à leur retour au travail. En effet, les difficultés financières existantes s’intensifient, et les risques de stress, de troubles psychiques et de prise de médicaments augmentent. Une relation de méfiance s’installe entre le travailleur malade et les personnes censées l’accompagner, comme les médecins ou les accompagnateurs de carrières.

Cyniquement, certains collaborateurs politiques des partis du gouvernement reconnaissent en privé que ces sanctions ne fonctionnent pas, mais qu’elles faisaient partie d’un compromis politique pour faire passer d’autres mesures. C’est devenu une rengaine bien connue au sein du gouvernement actuel: utiliser les plus faibles de la société, comme les malades de longue durée et les chômeurs, comme monnaie d’échange politique pour paraître «strict» lors des élections.

L’expérience de pays voisins démontre que la chasse aux malades ne fonctionne pas.

Suspension de la revalorisation des prestations d’invalidité
pour les malades de longue durée

Le gouvernement a décidé de suspendre la revalorisation de 2% des prestations d’invalidité pour les malades de longue durée après 5 ans et 15 ans d’incapacité. Cette année, 38.905 d’entre eux ne recevront donc pas d’augmentation de 2%. Un nombre similaire devrait être touché chaque année à l’avenir. Au total, les syndicats estiment que 237.575 malades seront concernés.


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