La CSC Alimentation & Services s’inquiète, face au rouleau compresseur de l’optimisation fiscale, de l’avenir d’un système de sécurité sociale bâti sur la solidarité.
Gaëtan Stas
À l’occasion d’une interview, le ministre Vincent Van Peteghem a mis le doigt sur une vérité fondamentale: le système de sécurité sociale belge croule sous la pression d’un marché du travail de plus en plus flexible. En y regardant de plus près, on constate toutefois que ce ne sont pas seulement les flexi-jobs ou le travail étudiant qui sapent le système. C’est l’ensemble des optimisations fiscales et des choix structurels qui minent la viabilité du système.
L’emploi fixe avec des droits à part entière cède la place à un éventail disparate de statuts, d’avantages et d’exceptions. Et qui en paie le prix ? Pas le consultant, ni l’employeur, mais la société!
Aujourd’hui, les supermarchés n’emploient pratiquement plus de personnel fixe. Ce sont les flexi-jobistes et les étudiants qui remplissent les rayons, tiennent les caisses et complètent les équipes. Leur contribution à la sécurité sociale est minime: les étudiants ne paient qu’une cotisation de solidarité de 2,71%, les employeurs 5,42%. Les flexi-jobistes ne paient même pas de cotisations de travailleurs à l’ONSS, et les employeurs ne paient qu’un montant forfaitaire de 28%. C’est avantageux pour le coût salarial, mais néfaste pour le financement des pensions, de l’assurance maladie et des allocations de chômage.
La perte pour la sécurité sociale s’élève au total à quelque 664 millions d’euros pour 2024 en raison des cotisations réduites pour ces deux régimes. Avec la généralisation imminente des flexi-jobs dans tous les secteurs et l’augmentation du nombre d’heures de travail des étudiants, nous dépasserons donc rapidement le milliard d’euros.
L’ensemble des optimisations fiscales mine la viabilité de la sécurité sociale.
Le gouvernement souhaite également faire passer le nombre d’heures supplémentaires de relance actuelles (120 par an) à 240 heures supplémentaires nettes. Ces heures sont entièrement exonérées de cotisations sociales et d’impôts. Pour le travailleur, cela semble être un moyen attrayant de gagner un peu plus, mais des simulations montrent qu’elles sont en réalité préjudiciables pour lui. Et une fois encore, sans cotisations, pas d’acquisition de droits sociaux.
Le gouvernement a récemment renforcé la réduction structurelle d’ONSS pour les bas et les moyens salaires. Cette mesure peut se défendre: elle rend le travail moins coûteux et stimule l’emploi. Mais cette réduction entraîne également une baisse structurelle des recettes de la sécurité sociale, qui n’est pas compensée par un financement alternatif.
Depuis juillet 2025, un plafond s’applique aux cotisations ONSS patronales pour les salaires supérieurs à 85.000 euros par trimestre. Plus aucune cotisation de base n’est due sur la partie excédant ce montant. Cela signifie que les revenus les plus élevés contribuent relativement moins que la classe moyenne, soit une solidarité inversée qui ne peut être ni justifiée ni expliquée.
Les plans cafétéria permettent aux travailleurs de convertir leur salaire brut en avantages extralégaux: voitures de société, téléphones portables ou assurances. Bien que parfois intéressants à court terme, ils limitent les cotisations ONSS et donc l’acquisition de droits sociaux. À grande échelle, ces rouleaux compresseurs de l’optimisation salariale constituent un danger insidieux pour le financement du système.
La course à l’«optimisation» existe depuis les années 1960, avec l’apparition des chèques-repas, par exemple. Aujourd’hui, la situation ne fait qu’empirer, et ce qui frappe surtout, c’est le manque de volonté de presque tous les gouvernements précédents pour y mettre un terme. Il est par ailleurs hallucinant que personne ne puisse se prononcer avec précision sur l’ampleur des pertes pour les recettes publiques. Une étude, réalisée par SD Worx à la demande du comité de gestion de l’ONSS, tente de chiffrer ces montants sur la base d’une extrapolation. Quoi qu’il en soit, il s’agit de milliards d’avantages «extralégaux» et ce montant augmente chaque année.
Le marché du travail belge se présente aujourd’hui comme une mosaïque d’exceptions, de régimes favorables et d’optimisations qui, ensemble, contribuent à l’assèchement de notre sécurité sociale. Il faut bien reconnaître que cet assèchement est en cours depuis de nombreuses années (on pense notamment au tax shift, ou plutôt au tax cut), mais, sous le gouvernement actuel, il s’accélère encore davantage.
Le ministre Van Peteghem a raison, «nous devons être honnêtes». Mais l’honnêteté requiert également cohérence et détermination. Celui qui identifie les fuites doit également oser les colmater. Celui qui voit le rouleau compresseur approcher doit l’arrêter. Sinon, il ne nous restera bientôt plus que les débris d’un système qui s’était autrefois bâti sur la solidarité.
© Shutterstock