Le dossier

L'info n°1308/07/22

Le secteur de l’aéronautique vit une forme de Covid long

L’industrie aéronautique civile est le secteur industriel et économique le plus touché par la pandémie. Alors que les effets de la crise vont se faire ressentir durant plusieurs années, quels défis devront être relevés pour assurer la pérennité du secteur?

Antoine Dedry

Confinements, quasi-arrêt des vols civils et commerciaux, annulation des commandes d’avions (Airbus, Boeing…), effet domino dans toutes les entreprises sous-traitantes, puis chez les sous-traitants des sous-traitants… tel un tsunami, l’irruption inattendue du Covid-19 a ravagé à une vitesse stupéfiante le secteur aéronautique mondial, sans épargner les entreprises et les travailleurs du secteur en régions wallonne et bruxelloise.

Secteur en convalescence

Avant la crise «sanitaire», le marché de l’aéronautique connaissait une croissance supérieure à la croissance mondiale (entre 4,6% et 6% chaque année). Les spécialistes prévoyaient, entre 2020 et 2030, une production massive de 22.000 (!) nouveaux avions afin, principalement, de remplacer les avions devenus trop anciens et trop polluants. Si, au début du premier confinement, une reprise rapide était envisagée, aujourd’hui tout le secteur accuse encore le coup. Le rétablissement (au niveau de 2019) n’arrivera pas, au mieux, avant 2025. Et le conflit russo-ukrainien ne favorise pas la reprise. 

En Wallonie, depuis près de deux ans maintenant, le chiffre d’affaire a généralement reculé de 50% et les carnets de commandes se sont retrouvés vides. Les prévisions pour les dix prochaines années sont, à tout le moins, difficiles, avec une réduction d’activité estimée de 25 à 50%. Certaines grandes entreprises ont dû mettre 30 à 50%, voire au-delà, de leur personnel au chômage économique/corona. En septembre 2021, les vols européens représentaient 70% des niveaux de 2019. En outre, l’approvisionnement difficile en pièces détachées, les règles sanitaires ralentissant la production et le pourcentage élevé d’absentéisme n’ont pas favorisé les conditions de travail. Des entreprises comme Hexcel Composites à Welkenraedt ou Shur-Lok à Petit-Rechain ont dû procéder à des restructurations et le recours au chômage économique a été massif dans tout le secteur. D’une certaine façon, le secteur de l’aéronautique vit une forme de Covid long. Dans ces conditions, l’ACV-CSC Metea et les avionneurs réclament la prolongation du chômage temporaire pour raison économique aussi longtemps que nécessaire pour permettre au secteur de traverser au mieux la pire crise de son existence.

Les perspectives dans le secteur pourraient favoriser un exil des travailleurs.

Menaces…

La crise du Covid-19 menace aussi la compétitivité future des entreprises. Tout d’abord, d’autres régions du monde sont nettement plus soutenues que les nôtres. Ensuite, les perspectives dans ce secteur pourraient favoriser un exil des travailleurs vers d’autres secteurs, laissant celui de l’aéronautique en carence de travailleurs hautement qualifiés avec un savoir-faire et une expérience reconnue au niveau international. Pourtant, avec un chiffre d’affaires estimé à 1.350 millions d’euros, plus de 5.500 emplois directs et de 100 sociétés actives, le secteur de l’aéronautique wallon et bruxellois représente plus de 70% de l’activité aéronautique en Belgique, avec un effet multiplicateur fort pour le reste de l’économie.

… et opportunités

Les enjeux climatiques deviennent un enjeu majeur. La société de demain voyagera autant qu’avant, mais plus exactement comme avant. Cette crise peut aussi être considérée comme un catalyseur vers la mise sur le marché d’avions de nouvelle génération, plus respectueux de l’environnement: les initiatives industrielles se multiplient pour faire voler des avions plus légers avec des carburants novateurs comme l’hydrogène ou… l’huile de friture. Plus localement, Le gouvernement wallon a tout récemment décidé de lancer Wings («Walloon innovations for green skies»), un projet de recherche très ambitieux en termes technologiques et de développement durable, rassemblant notamment trois grandes entreprises: Safran, la Sonaca et Thales. Si l’ACV-CSC Metea se réjouit que des plans de relance et des initiatives innovantes voient le jour, elle reste prudente. Les montants des plans de relance sont-ils suffisants? Il faut éviter les effets d’annonces et concrétiser ces plans au plus vite, tout en finançant la transition du secteur aéronautique.

Les enjeux
climatiques deviennent
un enjeu majeur.

Un défi syndical titanesque

Au niveau européen, les ambitions du paquet «Fit for 55» de la Commission européenne vont considérablement modifier les règles du jeu pour les avionneurs. En effet, ce paquet propose de parvenir à la neutralité climatique à l’horizon 2050. On s’en doute, pour l’industrie aéronautique européenne, cela implique de se pencher dès aujourd’hui sur tout le processus de production d’avions. Tout d’abord, des moteurs d’avions plus efficace et des avions plus légers. Mais pas seulement, car il va de soi que le principal défaut des avions n’est pas tant leur production en tant que telle, mais bien leur utilisation. Cela nécessitera donc des carburant durables ainsi qu’un trafic aérien plus efficace. Le défi est tout simplement colossal. Pour démontrer l’ampleur de l’enjeu, la «Déclaration de Toulouse» a été signée le 4 février dernier. Cette déclaration est la toute première initiative publique-privée visant à soutenir la réalisation de l’objectif de l’aviation européenne, à savoir zéro émission de CO2 d’ici 2050. Il s’agit de la première initiative conjointe de ce type dans un monde qui aligne toutes les parties prenantes de l’Union européenne sur les principes et actions nécessaires pour décarboniser et transformer le secteur européen de l’aviation. Fait notable, cette déclaration n’est (fort heureusement) pas qu’économique et ménage également une part au dialogue social1.

Favoriser une transition inclusive et juste

Pour IndustriAll Europe, le syndicat européen du secteur, et la centrale ACV-CSC Metea, il est fondamental d’anticiper le monde et le travail de demain pour ne pas devoir subir les coûts des transitions. Comme les syndicats ne le savent que trop bien, le changement devient prétexte aux licenciements s’il n’est pas pris à temps. Le travailleur doit être, et rester, le centre des préoccupations, surtout dans cette période charnière. En conséquence, syndicalement aussi, les forces se coalisent et le travail a déjà commencé. Chez ACV-CSC Metea, les permanents sont au four et au moulin pour gérer un quotidien complexe et anticiper les impacts profonds que cette crise, mais aussi les transitions verte et numérique, vont indubitablement avoir sur les travailleurs de l’aéronautique. Ils s’impliquent pleinement dans les initiatives de recherches-actions mises en place pour coordonner les initiatives syndicales et favoriser une transition inclusive et juste.

1. Les parties prenantes reconnaissent la dimension sociale de la transition vers une aviation durable et l’importance de favoriser la durabilité sociale et une transition juste, notamment par un dialogue social adéquat mené à toutes les étapes, ainsi que par l’amélioration de la qualification et de la compétence des salariés.

Des acteurs mondialement reconnus

Parmi les grands acteurs wallons et bruxellois figurent des leaders mondiaux qui équipent la plupart des avions civils en service. Cette filière regroupe de grandes entreprises mondialement reconnues comme: 

• La Sonaca (Charleroi): leader mondial pour les bords d’attaque d’ailes - 1.379 travailleurs. 

• Safran Aero Boosters (Liège): leader mondial en compresseur basse pression - 1.387 travailleurs. 

• Sabca (Charleroi et Bruxelles-Haren): structures et la maintenance - 752 travailleurs. 

• Thalès Alenia Space (Charleroi): systèmes de communication embarqués - 538 travailleurs.

Thales Alenia Space produit du matériel électronique de puissance pour les satellites et les lanceurs spatiaux.

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