«C’est compliqué de se développer sans savoir où on va»
Le secteur de l’automobile vit une période de transformations et d’incertitudes importantes. Comment les travailleurs d’Aisin Europe, entreprise spécialisée dans le reconditionnement de boîtes de vitesses automobiles usagées, appréhendent-ils l’avenir?
Propos recueillis par David Morelli
Aisin (ex-AW), fabricant de pièces automobiles et leader mondial sur le marché dans la production de boîtes de vitesses automatiques, emploie en Belgique quelque 700 personnes, réparties sur les sites de Braine-l’Alleud et de Baudour. Dans un marché qui évolue profondément depuis des années, le besoin de réinvention et de réactivité constitue le quotidien des 300 ouvriers du site montois.
«Notre pôle électronique a produit des systèmes de navigation pendant des années. Mais l’arrivée de Google Maps a tué ce marché, explique Lucas Momi, délégué CSC depuis 2012. Nous avons rebondi en produisant des puces électroniques pour les boîtes de vitesses automatique. Aujourd’hui, nous en produisons également pour les pompes à eau des systèmes de refroidissement des véhicules électriques.»
Le pôle mécanique est quant à lui spécialisé dans le reconditionnement des boîtes de vitesses. «Aucune différence par rapport à une boîte de vitesses neuve… sauf le prix, assure le délégué. On est dans une période charnière. Le reconditionnement est en phase avec une durée de vie des véhicules d’occasion qui s’allonge, mais l’avenir de cette activité sera lié à celui de la transition électrique. Se redéployer exclusivement sur l’électrique sans savoir si cela va fonctionner, c’est aussi risqué que de garder un business uniquement lié aux moteurs thermiques. Face à cette incertitude, Aisin développe en parallèle des essieux avec groupes motopropulseurs, qui ne nécessitent pas de boîte de vitesses automatique, et intensifie le développement de son activité de distribution de pièces automobiles. Mais c’est compliqué de se développer sans savoir où on va.»
Dans ce contexte, une polyvalence importante est demandée aux ouvriers. «Pour nous, l’objectif n°1, c’est de garder l’emploi. Nous essayons donc de former les travailleurs pour leur permettre de pouvoir travailler dans les différents pôles de l’entreprises lorsqu’il faut palier aux fluctuations de la demande. Malheureusement, cette polyvalence n’est pas rémunérée comme elle devrait l’être», regrette Lucas Momi.
Les incertitudes géopolitiques, comme l’augmentation des droits de douanes pour les exportations vers les États-Unis, ne facilitent pas la délicate transition des entreprises du secteur automobile. «Elles seront impactées en fonction de leur chaîne de valeur, de leurs fournisseurs et de leurs clients, explique le délégué CSC. Par exemple, Aisin vend des puces électroniques sur le marché chinois. La Chine va-t-elle pouvoir continuer à travailler avec nous? Trump a lancé les dés, mais ils sont toujours en train de tourner».
Incertitudes également quant à l’avenir de l’industrie en Europe. Le délégué ne voit en tout cas pas encore d’effets depuis l’annonce par la Commission d’un plan d’action visant à renforcer la compétitivité des constructeurs automobiles européens. Et les investissements annoncés par l’Europe et l’Arizona en matière de réarmement l’interrogent. «L’armement est une opportunité en matière de réindustrialisation, mais il faut aussi investir dans d’autres secteurs, comme la sidérurgie ou l’automobile. Il y a un manque de vision à long terme. L’Europe doit miser sur sa capacité à consommer et à produire en local», conclut Lucas Momi.
La Chine va-t-elle pouvoir continuer à travailler avec nous? Trump a lancé les dés, mais ils sont toujours en train de tourner».