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L'info n°0507/03/2025

Malades de longue durée: la mécanique perverse de la remise à l’emploi

Début plus rapide des actions de (ré)intégration, sanctions financières, inscription obligatoire au Forem ou Actiris s’il existe encore des possibilités d’emploi… Laurent Lorthioir, du service entreprise de la CSC, réagit aux mesures de l’Arizona qui touchent les malades de longue durée (MLD).

Propos recueillis par David Morelli

Comment envisagez-vous les nouvelles mesures de remise à l’emploi des MLD?

Les mesures sont complètement à côté de la plaque. Ce gouvernement ne se pose pas la question de savoir pourquoi les gens tombent malades. Est-ce que les pathologies dont ils souffrent sont dues aux conditions de travail, à l’organisation du travail, à autre chose? C’est une approche idéologique qui prévaut: tout comme les chômeurs, on traite les malades de longue durée comme des profiteurs. La personne est moins un malade qu’un travailleur en arrêt de travail qui doit impérativement être réactivé. Le gouvernement met en place une série de mécanismes pour que les MLD n’aient pas le choix: «vous êtes malade, mais vous êtes capable de faire quelque chose, il faut absolument vous remettre au travail».

Les acteurs de la santé sont-ils également mis sous pression?

Le gouvernement prévoit de sanctionner les médecins qui donneraient «trop» de certificats médicaux. Il jette l’opprobre sur les professionnels de la santé. Le même type de pression existe sur les mutuelles et sur le Forem, à travers un financement qui va dépendre du nombre de personnes qui réintègreront le marché de l’emploi. C’est la perversité du mécanisme: les acteurs censés être un tant soit peu attentifs à l’état de santé du travailleur sont poussés à le remettre au travail, à tout prix. Le risque majeur est de se retrouver avec des personnes démolies par le travail à 50/55 ans, sans possibilités de préserver ce qui leur reste de santé.

Le gouvernement parle de «responsabilisation». Qu’est-ce qui se cache derrière ce terme?

Cette «responsabilisation» signifie en réalité pousser les différents acteurs à mettre en place des parcours de réintégration. Après un an d’incapacité de travail, le travailleur sera obligé d’entamer un parcours de réintégration et devra accepter le travail qui lui sera proposé, indépendamment de sa formation ou de ses souhaits, en vue de répondre aux besoins dans les secteurs en pénurie. Les travailleurs pas ou peu coopératifs, à tort ou à raison, seront sanctionnés. On ne s’inquiète plus de savoir comment va la personne, ou comment elle pourrait travailler en bonne santé. Finalement, le message du gouvernement est simple: que ce soit dans l’entreprise qui l’emploie ou ailleurs, il faut remettre les MLD au travail, point final. Débrouillez-vous!

Les employeurs semblent relativement épargnés par cette «responsabilisation». Est-ce le cas?

L’accord n’exige à aucun moment des employeurs de prendre leurs responsabilités en matière de prévention, comme l’exige la loi, avec des contrôles à la clé. Pourtant, visiblement, cette prévention n’est pas appliquée: le nombre de MLD et le fait qu’une partie non négligeable de ces maladies soient causées par les conditions de travail en témoigne.

Existe-t-il des leviers syndicaux ou des revendications pour infléchir cette mécanique?

De manière très générale, il fait remettre le focus sur la prévention et rappeler la responsabilité des employeurs et de la médecine du travail en la matière. Au niveau des entreprises, là où il y a une représentation syndicale, il s’agira, au cas par cas, de rediscuter au Comité pour la prévention et la protection au travail des mesures de prévention plutôt que de faire la chasse aux malades. Mais vu l’urgence qui prévaut aujourd’hui, il faut aller dans la rue pour exprimer notre mécontentement, pour tenter d’infléchir les choses avant que le gouvernement ne légifère.


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