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L'info n°1527/09/2024

À la recherche de sens dans le travail

Les symptômes d’un profond malaise s’amoncellent dans le monde du travail. La quête de sens n’a sans doute jamais été aussi prégnante dans nos sociétés capitalistes.1

Joëlle Delvaux

Alors qu’il y a quelques décennies, l’essentiel pour les travailleurs était d’occuper un emploi rémunérateur, il semble qu’aujourd’hui, la priorité soit donnée à l’exercice d’un métier qui procure du sens. «C’est une révolution», analysent les économistes français Thomas Coutrot et Coralie Perez dans leur ouvrage «Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire»2.

«La crise sanitaire a clairement joué un rôle majeur dans cette révolution», ajoutent-ils. Les confinements et l’attention portée aux travailleurs «essentiels» ont conduit les salariés à «prendre de la distance et à faire preuve d’esprit critique à l’égard de leur travail», explique l’auteure Fanny Lederlin3, qui pointe notamment la division du boulot en micro-tâches, le vidant de son sens global, ou le surengagement pouvant mener à l’épuisement.

Nombreux sont ceux qui sacrifient désormais un bon salaire pour un emploi plus épanouissant ou qui, à l’heure où le management par les chiffres a envahi tous les secteurs d›activités, font ce choix plus ou moins conscient d’une démission silencieuse, se contentant de répondre à la description de leur fonction sans plus se surpasser. Par ailleurs, les défis écologiques colossaux qui nous attendent imposent de questionner notre modèle de croissance. Les démissions en masse, les reconversions en chaîne, le refus de jeunes diplômés de grandes universités d’intégrer des entreprises polluantes sont des phénomènes aussi puissants qu’éloquents. Avec en filigrane cette question que pose Matthieu Giroux dans Marianne: comment travailler en conscience dans un monde inégalitaire hanté par le changement climatique?

Une perte de sens variable

Pour les économistes Coutrot et Perez, le travail doit remplir trois critères fondamentaux pour avoir du sens: être utile socialement, respecter l’éthique et permettre au travailleur de développer ses compétences. «La perte de sens au travail traverse toutes les strates de la société mais elle s’exprime différemment selon les métiers et les secteurs», précise Thomas Coutrot dans un entretien accordé à un média spécialisé4. Dans les services publics et le non-marchand, le conflit éthique concerne les conditions de travail: comment accomplir correctement sa mission malgré les réductions d’effectifs, le manque de moyens, la numérisation des services…? Dans les industries pétrolière, chimique et automobile, les conséquences du dérèglement climatique déclenchent des remords écologiques parfois très douloureux. Dans la logistique et la grande distribution, la perte de sens réside davantage dans l’aspect répétitif du travail. À ce sombre tableau, Matthieu Giroux ajoute la défiance à l’égard de grandes entreprises dont l’engagement à rendre leurs activités plus humaines et éthiques a montré ses limites.

Nourrir le sens au travail


«Ce n’est pas le travail en tant que tel qui est remis en question mais le “travail insensé”»
, rassurent les deux économistes. Leur recommandation? Partager le pouvoir de décision avec les salariés, notamment sur des questions très concrètes telles que l’organisation du travail. Relancer le collectif et faire participer les travailleurs aux décisions représentent une exigence d’autant plus grande que les conséquences de la perte de sens au travail sur la santé psychique sont lourdes. «Si vous faites partie des 20% de salariés dont le sens au travail a le plus régressé ces dernières années, la probabilité que vous fassiez une dépression est multipliée par deux, assure Thomas Coutrot. Être en bonne santé signifie être acteur de sa vie et en mesure d’avoir le contrôle sur ce qui nous arrive. Il devient alors évident que lorsque nous ne maîtrisons pas ce que nous vivons dans notre travail, alors notre santé en pâtit».

Les démissions en masse, les reconversions en chaîne, le refus de jeunes diplômés de grandes universités d’intégrer des entreprises polluantes sont des phénomènes aussi puissants qu’éloquents.


1. Article initialement publié sur www.enmarche.be, le mensuel de la Mutualité chrétienne.
2. Paru aux éditions Seuil, 2022.
3. «Dépossédés de l’Open Space. Une critique écologique du travail», PUF, 2020.
4. «Donner un sens à son travail, oui, mais lequel?», E. Chevallier, 26 nov. 2019, www.theconversation.com.