Avec sa flexibilité et son salaire brut pour net, le flexi-job séduit beaucoup de travailleurs. Pourtant, cette forme d’emploi est extrêmement dangereuse: elle crée une brèche dans tout ce que le marché du travail peut encore avoir de collectif.
David Morelli
Le gouvernement a créé les flexi-jobs pour diminuer le travail au noir dans le secteur de l’Horeca. Mais très vite, l’usage de cette forme de travail précaire a été élargi à d’autres secteur. Selon le gouvernement, cela avait pour but de résorber les pénuries. En réalité, deux objectifs sont poursuivis: inciter la population à travailler plus, plus longtemps, et casser les logiques collectives qui encadrent le marché de l’emploi. Le rêve de tous les partis de droite.
«Les étudiants qui recourent aux jobs étudiants le font souvent par nécessité, pour financer leurs études par exemple. C’est pareil pour les flexi-jobs. Un nombre croissant de travailleurs et de pensionnés y ont recours pour obtenir un revenu complémentaire. Auparavant, ces derniers auraient sans doute fait du bénévolat. Mais les flexi-jobs constituent une aubaine de gagner quelques euros supplémentaires sans être imposés sur cette somme», explique Benjamin Moëst, chargé d’études à la CSC. Les flexi-jobs permettent ainsi aux employeurs de certains secteurs d’engager facilement du personnel de manière flexible et à moindre coût (à lire dans L’Info n°20, 2023). Une formule qui vient allonger la liste des catégories de travailleurs.
Au lieu d’améliorer les conditions de travail, les salaires et les pensions, le gouvernement propose donc juste de travailler plus. C’est une forme de dumping social, et le fait d’avoir arrondi certains angles en janvier 2024 ne change rien sur le fond. Dans ce système, on ne tient pas compte de ce qui a été collectivement négocié dans les secteurs: pas d’indemnités pour prestations irrégulières ou heures supplémentaires, pas de prime de fin d’année, d’ancienneté ou de prise en compte des horaires flexibles pour la pension.
Ce statut met également à mal le dialogue social: au niveau des secteurs, les interlocuteurs sociaux ont été court-circuités par le gouvernement. De plus, «le recours à des flexi-jobbers a un impact négatif sur les délégations syndicales dans certaines entreprises, car ils ne sont pas pris en compte dans les seuils de représentation syndicale. Cela pourrait amener des entreprises à perdre des délégations», ajoute le chargé d’études.
Plus largement, les cotisations, plus faibles, menacent l’équilibre de la sécurité sociale et créent une inégalité entre les travailleurs. «Pour une même fonction, deux travailleurs sont rémunérés et cotisent différemment en fonction de leur statut. Tout ce que les secteurs ont construit en termes d’égalité de traitement entre travailleurs est détruit par les flexi-jobs», développe-t-il.
Tout ce que les secteurs ont construit en termes d’égalité de traitement entre les travailleurs est détruit par les flexi-jobs.
Au final, si ce système peut être apprécié à titre individuel par les personnes qui y ont recours, il crée une brèche au niveau collectif en contournant la concertation sociale, même si les nouvelles règles imposent d’y recourir dans les grandes entreprises. «Cela crée un glissement vers des systèmes plus individualisés, avec le risque de faire disparaître à terme des leviers de négociation aux interlocuteurs sociaux. Ce type de flexibilité peut pervertir les droits des travailleurs», conclut Benjamin Moëst.