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L'info n°1406/09/2024

Le monde d’après: un bon plan pour les femmes?

Le prisme du genre a-t-il été pris en compte dans les plans de relance mis en œuvre au sortir de la crise du Covid? Une matinée d’étude organisée par les Femmes CSC a abordé cette question, avec une réponse en demi-teinte.

David Morelli

En juillet 2020, sous impulsion européenne, des plans de relance ont été lancés en Belgique, aux niveaux régional et national. En effet, face à l’impact socio-économique de la pandémie, l’objectif était d’investir dans l’avenir en soutenant des projets liés à la préservation du climat et à la révolution numérique. Ces plans, aux budgets conséquents, constituaient, entre autres, une occasion de concrétiser les discours politiques visant à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Ceci après la mise en lumière (et, durant une courte période, en valeur) des métiers essentiels, majoritairement féminins, lors de la pandémie.

L’Hiva, l’institut de recherche sur le travail et la société de la KU Leuven, a analysé les quatre plans de relance (trois régionaux et un national) sous l’angle de la dimension de genre. L’objectif était de déterminer si les projets qui en sont issus intègrent les différences entre les femmes et les hommes, et de quelle manière. Voici une synthèse de leur analyse.

Plan de relance pour la Wallonie

L’égalité entre les femmes et les hommes y est formellement prise en compte: plusieurs sections mentionnent explicitement les femmes comme public cible pour différents projets et actions. La dimension de genre, notamment le fait que cette question doit être envisagée de manière transversale dans la plupart des projets, est également citée explicitement dans le plan.

Le projet 13, par exemple, qui vise à mettre en place un plan coordonné de promotion des filières, compétences et métiers porteurs d’emploi, mentionne explicitement que la dimension de genre doit être transversale pour lutter contre les stéréotypes dans l’orientation scolaire et professionnelle. Le programme 230, qui vise à l’inclusion de tous les Wallons et Wallonnes pour la réduction de la fracture numérique, cite clairement les femmes comme public cible.

Autre exemple: le projet 315, dont l’objectif est de financer des actions pour l’intégration des femmes dans le secteur de la construction. Pour certains projets et programmes, des indicateurs avec un pourcentage de femmes visées par l’action sont mentionnés. «Néanmoins, la dimension systématique et globale du gender mainstreaming, censé être appliqué par le Gouvernement wallon (systématiser les chiffres sexués avant, pendant et après la mise en place de mesures, faire une analyse genrée transversale des mesures prônées, etc.) manque cruellement», commente Gaëlle Demez, responsable des Femmes CSC.

Plan de relance du gouvernement flamand: une «résilience flamande»

La dimension de genre y est absente. On y trouve néanmoins des effets indirects: le plan envisage une meilleure rémunération pour le personnel soignant, domaine qui, en règle générale, est majoritairement occupé par des femmes. Les effets positifs seront donc mineurs, d’autant plus qu’aucun objectif chiffré n’est mentionné.

Le plan de relance et de redéploiement de la Région de Bruxelles-Capitale face à la crise du Covid

Le plan bruxellois mentionne dès son introduction que la question du genre doit être envisagée dans tous les programmes et tous les investissements cités dans le document. Mais au-delà de l’intention, ce plan non plus ne propose aucun indicateur clair. Certains projets sont néanmoins présentés avec des indicateurs de suivi mais sans objectifs précis en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. De l’avis de Laurène Thil, une des chercheuses ayant réalisé l’étude, derrière l’intention et les termes, le plan donne l’impression «de cocher les cases, mais sans proposer d’éléments pour concrétiser les intentions.»

Next Gen Belgium

Les différents plans régionaux précités ont servi de base à la création du Plan national pour la reprise et la résilience, baptisé «Next Gen Belgium». «Rien d’étonnant à constater dès lors que le gender maintreaming n’y soit pas appliqué non plus de manière rigoureuse et systématique», constate d’emblée Gaëlle Demez.

Ce plan vise, entre autres, à définir et développer les secteurs d’avenir en soutenant des objectifs climatiques et des plans et des projets dans la transition numérique. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) a été invité à analyser ce plan à l’aune du genre… mais seulement une fois ce plan déjà terminé. Une approche pour le moins étonnante. L’IEFH a constaté que les investissements prévus par le plan sont principalement dirigés par des secteurs dominés par les hommes (construction, énergie…), ce qui, à leur estime, pourrait à court terme aggraver les inégalités de genre. L’IEFH a également calculé qu’environ 18% des investissements auront un impact positif sur l’égalité entre femmes et hommes et que 52% pourraient potentiellement avoir un impact positif.

Selon l’étude Hiva, à plus long terme, certains investissements contribueront néanmoins à avancer vers l’égalité. Outre l’amélioration attendue de l’efficacité, les projets visant à numériser les services publics offrent la possibilité d’augmenter la quantité de données ventilées par sexe au sein de l’administration et de les intégrer dans l’élaboration des politiques publiques. La création de nouvelles places de garde d’enfants devrait également contribuer à améliorer l’accès et le maintien des femmes sur le marché du travail, promouvant ainsi l’égalité des sexes. «L’inclusion des femmes dans les métiers de sciences et technologies est aussi très importante, ajoute Laurène Thil. Beaucoup de projets mettent l’accent sur cette question, mais il serait intéressant d’arriver aussi à inclure plus d’hommes dans des métiers dominés par les femmes, comme dans le secteur des crèches par exemple.»

Une ambition non mesurée

Les conclusions de l’enquête sont en demi-teinte. «Ces plans ambitieux intègrent plus ou moins la dimension du genre, mais ils n’auront un impact réel sur le terrain que si les mesures mises en place peuvent être mesurées et qu’un suivi précis est possible.» Or, ces plans manquent d’indicateurs quantifiables et mesurables pour le suivi et l’évaluation de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces indicateurs sont pourtant nécessaires pour travailler la dimension de genre de manière concrète et transversale (gender mainstreaming).

Parmi les pistes de solutions envisagées pour mieux intégrer la dimension du genre, l’Hiva évoque l’application du «gender budgeting»: l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire. Ceci permettrait de visualiser combien a été dépensé pour les femmes et pour les hommes.

Pour la chercheuse, «les syndicats ont un rôle crucial à jouer pour s’assurer que la question du genre soit systématisée lors de la rédaction mais également lors du suivi et de l’évaluation des projets inscrits dans les plans de relance. Des formations sur le gender budgeting pourraient permettre à toutes les personnes qui sont invitée à une table de négociations pour l’écriture des textes de prendre en compte cette dimension à différentes étapes de l’écriture d’un plan de l’écriture d’un budget.»

Gaëlle Demez, responsable des Femmes CSC, conclut: «Vu les nouvelles coalitions en train de se former, nous sommes inquiètes du suivi de ces plans de relance. Et les premières tendances se dégageant de la déclaration de politique gouvernementale wallonne à ce sujet ne nous rassurent pas…».

Les premières tendances se dégageant de la déclaration de politique gouvernementale wallonne ne nous rassurent pas…

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